Dans un mémoire rédigé durant les premiers mois de la Révolution française, le chimiste Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) écrit : « Depuis que l'usage des armes à feu a été généralement établi en Europe, la fabrication et la distribution des poudres, la recherche et l'amas du salpêtre sont devenus un attribut incommunicable de la souveraineté, non seulement en France, mais encore dans tous les autres gouvernements, sous quelque forme qu'ils existent […] la disette, l'exportation ou le mauvais emploi des poudres, aujourd'hui de première nécessité, exposerait une nation entière à succomber sous les attaques de ses ennemis 1. » Comme Lavoisier, lui-même à la tête de la Régie des poudres et salpêtres, nombre de chimistes et artilleurs de cette période s'intéressaient à des questions liant la science et le domaine militaire, et chacun s'efforçait à sa façon de contribuer à l'emploi et à l'efficacité des munitions. Dans ce contexte, le Royaume de Naples présente un mode d'intervention différent et original : pour le perfectionnement de l'artillerie, un professeur de chimie et un capitaine d'artillerie s'associèrent pour donner la traduction d'un livre, le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, publié à Paris en 1789, livre qui marque la naissance de ce qu'on appelle alors la « nouvelle chimie 2 ». Cet ouvrage majeur fut publié pour la première fois en italien par Gaetano Maria La Pira et Luigi Parisi, dès le mois de janvier 1791, pour offrir aux cadets de l'Académie royale militaire de la Nunziatella, à Naples, l'occasion exceptionnelle de l'étudier 3. 2 Quels furent le contexte, les enjeux et les effets de cette traduction ? L'analyse de son histoire est intéressante sous plusieurs aspects : le choix étonnant de traduire, non un manuel pédagogique classique, mais un texte qui rompait avec la tradition ; le fait que cette traduction fut, pour le Royaume de Naples, une première dans laquelle le hasard a Les artilleurs traducteurs et leurs ennemis. La première traduction italienne...