Le commerce informel et transfrontalier des produits pétroliers provenant du Nigéria s’est enraciné, au début des années 1990, dans un contexte de crise économique et politique marquant le passage d’un État-providence à un État libéral et de marché. La porosité de la longue bande frontalière et les accointances entre douaniers et contrebandiers ont depuis favorisé l’institutionnalisation sociale et économique d’une activité informelle pourvoyeuse d’emplois et intégratrice de milliers d’exclus, de sans-emplois et de chômeurs au Bénin. Au fil des ans, le commerce informel du carburant de contrebande (le « kpayo ») s’est socialement légitimé, s’est intégré au quotidien des populations béninoises et s’est substitué aux stations-service pratiquant des prix prohibitifs. Les multiples tentatives de l’État central pour l’éradiquer se soldent par des échecs, y compris la dernière campagne démarrée le 17 novembre 2012. Arrestations, saisies, morts et autres drames n’empêchent pas le liquide controversé de couler à flots dans les réservoirs des citoyens et de rester concurrentiel.
À rebours des théories en vogue sur l’informel, ce papier adopte une posture socioanthropologique multicentrée et critique. Il associe l’économique au social et au politique pour interroger à partir de données recueillies au Bénin entre 2012 et 2014, l’action publique contre le « kpayo ». J’examine les représentations, les pratiques (non) officielles et les négociations entre un État régalien désireux de contrôler ses frontières pour augmenter les recettes douanières et un État d’usagers et de contrebandiers déterminés à maintenir coûte que coûte une activité informelle, structurant de manière décisive toute une économie formelle.
Elieth P. Eyebiyi est chercheur au programme « La bureaucratisation des sociétés africaines » de l'Institut historique allemand (IHA Paris) et du Centre de recherches sur les politiques sociales (CREPOS) à l'université Cheikh Anta Diop et fellow à Stellenbosch University ;
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