RÉSUMÉSi la sociologie de l'éducation s'est attachée à établir que l'école (re)produit des inégali-tés sociales, peu de travaux empiriques se sont posé la question de savoir si l'école légitime les inégalités qu'elle crée, en inculquant aux élèves à la fois le principe de mérite et la légiti-mité de la méritocratie scolaire. L'enjeu de cette question, souligné notamment par les psychologues sociaux, fortement impliqués dans ce domaine d'étude, est pourtant très important. L'étude empirique présentée ici, qui conjugue à la fois une enquête réalisée auprès d'étudiants de première année d'enseignement supérieur et une série d'entretiens réalisés auprès d'adultes, montre que l'intériorisation de la méritocratie scolaire est loin d'être parfaite. Celle-ci fait l'objet de critiques principalement sur deux points : la capacité du diplôme à refléter le mérite, d'une part, et la légitimité de l'assimilation entre mérite scolaire et mérite professionnel, d'autre part. Cette étude atteste aussi de l'influence modérée -car contradictoire -exercée par la formation reçue sur les jugements, dans la mesure où l'éducation reçue renforce à la fois la croyance en la légitimité de la méritocratie scolaire, tout en donnant les moyens d'en percevoir les limites.Le thème des normes de justice connaît actuellement un regain d'attention parmi les sociologues et les psychosociologues européens ; en attestent notamment le développement de réseaux internationaux et de revues consacrés à la social justice, ou encore l'intérêt suscité chez les chercheurs par les enquêtes internationales comme l'International social survey program (ISSP) (1), qui comprend un module spécialement consacré à la perception des inégalités sociales. Parmi les normes de justice, chez les chercheurs comme d'ailleurs chez les politiques, la méritocratie constitue un thème des plus classiques, dès lors qu'il s'agit du principe censé prévaloir à l'allocation des places dans les sociétés démocratiques modernes. Les inégalités sociales y sont jugées acceptables (voire justes) si et seulement si elles sont perçues comme découlant des qualités individuelles (talents, efforts) récompensées au terme d'une compétition ouverte et non de propriétés « héritées » (notamment 229 R. franç. sociol., 50-2, 2009, 229-258 (1) L'ISSP est un programme de recherche impliquant plus de quarante pays qui conduit depuis 1985 des enquêtes comparatives internationales : trois enquêtes ont ainsi été menées sur la perception des inégalités sociales successivement en 1987 (10 pays), 1992 (17 pays) et 1999 (27 pays). Document téléchargé depuis www.cairn.info -Institut d'Etudes Politiques de Paris --193.54.67.93 -27/02/2018 16h57. © Editions Technip & Ophrys l'origine sociale, le sexe). D'après les analyses classiques de la stratification sociale, on devrait, au fil du développement historique des sociétés, assister à un affaiblissement, dans la genèse des destinées individuelles, du poids des facteurs « hérités » au profit des facteurs acquis à la force du poignet (notamment les diplômes) ; c'es...