Le paysage est de plus en plus valorisé dans les projets urbains en Europe et aux États-Unis, au point d’apparaître comme une nouvelle marque de fabrique urbaine durable. Les politiques publiques menées dans deux quartiers périphériques de New York et Paris révèlent un idéal de ville nature, qui renouvellerait l’image de territoires déqualifiés. De même, l’ambition publique insiste sur le développement d’espaces de nature censés « faire espace public », symbolisant une nécessité de nouveaux types d’espaces collectifs/publics, appropriables, habitables dans un contexte de problématiques environnementales et de perte de l’essence publique des villes. Paysage et espaces paysagers apparaissent dès lors perçus comme une composante de l’urbanité des villes, en tant qu’ils traduiraient une occasion de repenser l’espace public, la citoyenneté (vie politique), la citadinité (vie urbaine), la civilité (vie sociale). L’individualisation des pratiques sociales et la diversification des modes d’investissement spatial des citoyens conduisent à une plus grande hétérogénéité des perceptions et de significations attribuées à l’environnement urbain. Dès lors, ne serait-ce pas à partir de la composition d’un langage des paysages par de multiples lecteurs, récepteurs, concepteurs, que l’urbanité et l’habitabilité des lieux pourraient être reconsidérées et à même de réconcilier les espaces aménagés avec ceux perçus, vécus, imaginés.
Avec les objectifs de développement durable et les critiques liées à la dénaturation des paysages, l’urbanisation est de plus en plus questionnée dans sa capacité à penser son rapport à la nature en tant que support écologique et d’amélioration de la qualité urbaine et du bien être. Elle est aussi interrogée dans son rapport au paysage dans la mesure où il participe à notre perception et représentation personnelle et commune du cadre urbain. Notre hypothèse est que le paysage sensible, c’est-à-dire tenant compte des sensations, affects, émotions et imaginaires, est une composante clé de la qualité des futurs quartiers aménagés. Mais comment définir un sentiment de paysage et le traduire dans un projet urbain ? Peut-il permettre une évolution urbaine plus respectueuse du rapport sensible que les hommes entretiennent avec les lieux et leurs paysages ? Pour aborder ces questions, nous proposons de nous appuyer sur deux recherches menées successivement, L’enjeu du paysage commun (2012-2014) et Fabrique ACTive du paysage (2015-2017) qui s’interrogent sur ce qui suscite les sentiments de paysage et sur les fondements d’une intervention urbaine sensible dans un territoire ordinaire de Seine-Saint-Denis, L’Ile-Saint-Denis. Cette recherche montre que le sentiment de nature et de paysage urbain sont interdépendants, les citadins pouvant éprouver un paysage quand les espaces aménagés sont mis en perspective par des horizons de nature. Elle révèle aussi que les expériences sensibles fondent notre appréhension des lieux et appellent la mise au point de méthode de recueil du senti et ressenti urbain, mais aussi de signes du sensible dans les lieux eux-mêmes (symboles, traces, prises sensorielles et affectives). Elle montre enfin l’importance du mouvement pour éprouver avec ses sens le paysage urbain.
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