RésumésLe « chef-dictateur », dont Toscanini demeure le représentant par excellence, n’est que le cas limite d’une série de métaphores politiques qui ont accompagné toute l’histoire moderne de la direction d’orchestre. Cette pratique invitait déjà, par définition, àréfléchir àl’autorité d’un individu sur un groupe, àl’efficacité et àla légitimité de ses décisions; l’attribution d’une valeur morale aux interprétations esthétiquement convaincantes des œuvres du répertoire acheva par la suite de donner àla figure du chef un statut symbolique. Soit une surenchère dans le domaine des représentations, qui toutefois ne correspond pas nécessairement àune accumulation des pouvoirs réels du chef au sein des institutions musicales, la tendance historique dans ce domaine allant plutôt vers une réglementation accrue de ses compétences. Ce parcours historique de la direction d’orchestre en tant que forme de commandement se déploie du début du XIXe siècle, moment où la baguette s’impose comme outil et emblème du chef, jusqu’aux suites de la Seconde Guerre mondiale, où la mise en cause de l’autoritarisme conduit àune critique du modèle traditionnel.
La tournée de l’Orchestre de Paris en Argentine en juillet 1980 sous la direction de Daniel Barenboïm, organisée par des institutions musicales indépendantes mais envisagée par les autorités comme un moyen d’intensifier les relations bilatérales, devait constituer un exercice plutôt classique de diplomatie culturelle. Or, malgré un triomphe artistique incontestable, l’entreprise allait dérailler à la veille de la fête du 14 juillet, suite au choix de certains musiciens de se solidariser avec les desaparecidos, les victimes disparues de la répression illégale. Cet incident diplomatique, peut-être le plus grave de l’histoire des relations franco-argentines pendant la dictature issue du coup d’État du 24 mars 1976, illustre des conceptions divergentes du rôle de la musique dans les relations internationales, tout en relançant l’interrogation sur l’éventuelle signification politique des œuvres musicales elles-mêmes, par exemple la Cinquième Symphonie de Mahler, jouée au Teatro Colón de Buenos Aires.
RésuméEn décembre 1977, le pianiste argentin Miguel Angel Estrella est arrêté à Montevideo dans le cadre de l'opération Cóndor. Accusé d'appartenir à la guérilla péroniste Montoneros, il est torturé et maintenu au secret avant d’être transféré dans la prison de Libertad où sont rassemblés tous les prisonniers politiques de l'Uruguay. Au terme d'une intense campagne de solidarité internationale – lancée par ses amis parisiens et menée par des personnalités du monde de la musique, des diplomates et des militants des droits de l'homme, mais aussi par de nombreux mélomanes anonymes –, il est libéré et expulsé vers la France en février 1980. Fondé sur les archives du comité de soutien d'Estrella, des sources diplomatiques et une série d'entretiens, ainsi que sur les fonds récemment déclassifiés de la justice militaire uruguayenne, cet article décrit les ressorts d'une cause exceptionnelle, éclairant d'un jour nouveau les liens entre musique et diplomatie au temps de la guerre froide. Il interroge aussi l'expérience vécue par le musicien en prison, où la pénible reproduction d’œuvres de Beethoven sur un piano muet fait écho à l'assimilation, dans les médias, de sa figure à un héros beethovénien, sorte de Florestan moderne. Ainsi, l'article se penche sur les liens entre éthique et esthétique, et analyse la façon dont l’émotion s'articule au politique dans les mobilisations internationales.
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