À travers l’analyse des différentes formes de mobilisations contre le rapport de la commission sur les libertés individuelles et l’égalité (COLIBE) organisées par des réseaux liés à la mouvance islamique, cet article propose d’interroger le processus de spécialisation/séparation entre activités partisanes et activités de prédication, entériné par Harakat Ennahdha lors de son dixième congrès, en mai 2016. Présenté par le parti comme une réforme majeure, ce processus de spécialisation conduirait à la transformation d’Ennahdha en un parti civil moderne. Adoptant une perspective relationnelle et interactionniste, l’article examine, à lumière des mobilisations contre le rapport de la COLIBE, comment s’opère, dans le cadre du processus de spécialisation, la réorganisation des rapports entre le parti et les réseaux d’associations à référent religieux et se renégocient les liens et les frontières entre politique et religieux. L’analyse fait ressortir une dynamique de reconfiguration par le bas d’un réseau à référent islamique qui prend ses distances formelles par rapport au parti Ennahdha. Celle-ci tend en fait à recréer une unité par le bas de la mouvance islamique, en coordination avec le processus de spécialisation d’Ennahdha, et dans une logique qui s’apparente à une division de compétences. Plutôt qu’à une séparation effective des deux sphères d’action, le processus de spécialisation semble contribuer à un brouillage des frontières entre le politique et le religieux.
Les mouvements de protestation de l’hiver 2010-2011, qui ont conduit à la chute du régime de Ben Ali, ont avancé un certain nombre de revendications socio-économiques autour des questions de l’emploi, du développement et de la justice, notamment portées par les jeunes des régions dites marginalisées de l’intérieur et du Sud, des quartiers défavorisés et de manière générale par les groupes sociaux qui ont été exclus par les politiques de développement économique et social de l’ancien régime. Ces revendications ont été plutôt reprises par les associations qui ont essayé de mettre en place des nouvelles manières de faire le développement, face à l’incapacité de l’État de répondre aux besoins de la population. Dans ce contexte, la grammaire de l’économie sociale et solidaire (ESS) se généralise à la fois comme « alternative » socio-économique aux stratégies de développement de l’État et comme modèle légitime de l’action associative. À partir du cas de la région de Médenine, notre article vise à montrer comment la grammaire de l’ESS, greffée par les acteurs internationaux et élaborée dans l’arène nationale, permet à la fois le déploiement de nouvelles dynamiques hégémoniques et la création de nouveaux réseaux afin de légitimer les stratégies d’insertion des groupes sociaux exclus auparavant.
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