La forme-camp. Pour une généalogie des lieux de transit et d'internement du présent 1 Federico RAHOLA Federico Rahola est chercheur en sociologie des processus culturels à l'université de Gênes et rédacteur des revues Conflitti Globali (XBook) et Etnografia (Il Mulino). Il est également l'auteur, entre autres, de Zone definitivamente temporanee. I luoghi dell'umanità in eccesso, Vérone, Ombre Corte, 2004. « Notre temps-son impérialisme militaire moderne, les ambitions quasi théologiques de ses gouvernants despotiques et totalitaires-est le temps des réfugiés, des exilés, de l'immigration de masse 2. » U n récit extraordinaire de l'écrivain palestinien Ghassan Kanafani, Rijal fil Sharns, datant de 1963 3 , décrit la tentative tragique de trois jeunes Palestiniens voulant rejoindre le Koweït. A Bassorah, en Irak, les exilés rencontrent un contrebandier qui transporte des « marchandises » dans le container de son camion-citerne. Ils lui demandent, moyennant argent, s'il peut les emmener jusqu'à la frontière. Lorsqu'ils sont presque arrivés à destination, le conducteur s'arrête sous un soleil de plomb pour discuter avec les gardiens. Il oublie son « chargement » (ou peut-être pas), et les Palestiniens meurent asphyxiés sans que personne ait pu entendre leurs cris. La littérature et le cinéma 4 sont sans doute les seuls qui réussissent à saisir avec tant de justesse toute la violence qui appartient à ces frontières : une profusion d'espérances, de tensions et de tragédies qui s'accumulent dans ces lieux 1. Cet article a été initialement publié dans Conflitti Globali, n°4/2007. Traduit de l'italien par Sarah Guimault. 2. Said E., "Reflections on Exile", On Exile and Other Essays, Cambridge, Harvard University Press, 2002. 3. Kanafani G., Des hommes dans le soleil, Paris, Sindbad, 1990. 4. Nous pensons au roman de T.C. Boyle, America, ou à l'un des derniers films de Tommy Lee Jones, Trois enterrements. Cultures & Conflits n°68-hiver 2007 La forme-camp-F. RAHOLA 33 7. Sur l'abolition substantielle du droit d'asile et sur sa sinistre reconversion en dispositif de fichage et de profiling des demandeurs, mis définitivement au ban dès le premier refus, nous renvoyons à Valluy J., « La nouvelle Europe politique des camps d'exilés », Cultures & Conflits, n°57, 2005.