Est-ce si important [de boire] alors que tout le reste est contraignant ? ». Nina, l'une des femmes que nous avons interviewées à propos de leur consommation d'alcool pendant l'allaitement, invite à prêter attention aux circonstances qui les font s'interroger sur leur existence : boire de l'alcool est-il conciliable avec l'allaitement ? En d'autres termes, à quoi tiennent ces femmes et de quoi dépendent-elles pour élaborer en situation des « options vivantes » (James, [1897] 2005), pouvant être tenues en pratique ? Comment les expériences de (non)consommation d'alcool participent-elles à faire advenir les mères et à « produire le genre » (West et Zimmerman, 2009) ?Si les expériences de la consommation occasionnelle d'alcool pendant la grossesse ont été documentées (Hammer et Inglin, 2014 ;Holland, McCallum et Walton, 2016 ; Gouilhers et al., 2019), peu de travaux se sont intéressés à la période de l'allaitement. En mobilisant une approche pragmatique et féministe, nous proposons de prendre au sérieux les récits des expériences que les femmes (f)ont de l'alcool et leur réflexivité pratique pour élaborer des options rendues nécessaires par l'allaitement.
Enquêter sur des « options vivantes » : une approche pragmatique et féministeDe nombreux travaux mettent en exergue que la consommation d'alcool tend à être davantage régulée pour les femmes que pour les hommes (Palierne, Gaussot et Le Minor, 2015), a fortiori lorsqu'elles ont des enfants (Fox, Heffernan et Nicolson, 2009). Plusieurs recherches consacrées aux usages d'alcool ou de drogues ont ainsi souligné l'importance de la transition à la maternité dans la constitution des inégalités de genre (Measham, 2002 ;Lyons et Willott, 2008 ;Waitt et Clement, 2016), sans pour autant examiner de près les récits d'expériences des mères. Notre enquête vise ainsi à compléter ces analyses en nous centrant sur l'allaitement.La capacité des messages de santé publique à façonner l'expérience de la maternité a été amplement mise en évidence dans la littérature. Pendant la grossesse ou l'allaitement, les femmes sont incitées, entre autres prescriptions, à renoncer à certains aliments, à arrêter de fumer et à s'abstenir d'alcool, suivant un principe de précaution (Lupton, 2012 ;Hammer et Burton-Jeangros, 2013). En Suisse, différentes organisations professionnelles présentent Manuscrit auteur.rice. Pour citer l'article : Solène Gouilhers, Irina Radu, Raphaël Hammer, Yvonne Meyer et Jessica Pehlke-Milde, 2021. « Quand la (non)consommation d'alcool fait le genre : une enquête sur les récits d'expériences de mères allaitantes », Nouvelles Questions Féministes, 40 (1), 52-66.