Cadre de la recherche : Partant du constat que l’avortement demeure une pratique stigmatisée, cet article analyse les stratégies d’invisibilisation mises en place par les femmes ayant avorté d’une première grossesse afin de contourner la stigmatisation. Objectif : Cet article montre comment le « travail d’invisibilisation » mis en place par les avortées (gestion du secret, dissimulation des signes de grossesse, du parcours de soin et de l’avortement…) renforce le travail procréatif assigné aux femmes. En cela, il contribue à reproduire des asymétries genrées. Méthodologie : Les données utilisées sont issues d’entretiens semi-directifs menés en France auprès de femmes entre 17 et 38 ans ayant avorté d’une première grossesse (n=49). Elles sont complétées par des observations ethnographiques dans plusieurs centres d’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) français. Résultats : Dans le cadre d’une première grossesse interrompue, le dévoilement de l’avortement se réalise dans un entre-soi féminin, principalement auprès des amies et des mères des avortées. Les partenaires sexuels sont des soutiens d’autant plus ambigus que la relation de couple n’est pas établie. L’invisibilisation de l’avortement se traduit par des stratégies de justification alternative des absences au travail comme à l’école, pour préserver l’intimité et éviter une stigmatisation sexuelle et contraceptive. Dans l’espace domestique, la dissimulation, plus rare, s’avère difficile : elle suppose de masquer les signes de grossesse et les traces du parcours de soin. La prise en charge médicale de l’avortement expose quant à elle à une stigmatisation de l’échec contraceptif. Conclusion : Se prémunir de la stigmatisation de l’avortement peut être nécessaire pour éviter le discrédit des avortées. Le travail d’invisibilisation varie selon les caractéristiques sociales des avortées (âge, situation conjugale) et les motifs de la stigmatisation (sexualité, représentation du fœtus, échec contraceptif). Contribution : Cet article contribue à l’analyse internationale de l’abortion stigma en le resituant dans une perspective matérialiste attentive au travail procréatif accompli par les femmes. Il montre également les spécificités de la stigmatisation abortive en France.
Cet article s’intéresse à la prise en charge des interruptions volontaires de grossesses telle qu’elle s’effectue dans des centres d’orthogénie de l’hôpital public. L’objectif est de montrer que le contrôle social des avortantes est tributaire du recrutement genré des équipes médicales et soignantes. Les professionnelles de l’orthogénie, presque exclusivement des femmes déjà mères, choisissent cette spécialité délaissée moins par militantisme que pour se rendre davantage disponibles pour leur vie familiale, renonçant de fait à une activité professionnelle plus valorisée. Une telle organisation du travail amène ainsi auprès des avortantes des professionnelles ayant une conception plutôt essentialiste de la maternité et des rapports de genre. La prise en charge proposée se fonde sur un travail émotionnel de care , d’autant plus nécessaire qu’il constitue la principale source de reconnaissance au travail, en l’absence d’une importante technicité. Ce travail de care , faiblement politisé, performe cependant des attentes genrées envers les usagères et contribue paradoxalement à renouveler la stigmatisation de l’avortement.
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