En dépit de la multiplication des formes de contrôle externe en matière de gestion au plus juste des marchandises et de la clientèle, les managers de rayon jouent aujourd’hui encore un rôle essentiel dans l’organisation au quotidien du travail. Les restructurations survenues ces deux dernières décennies au sein des entreprises de la grande distribution ont contribué à transformer les modalités d’exercice de l’encadrement au sein des hypermarchés. Les innovations techniques et organisationnelles majeures (informatisation et gestion intégrée des marchandises et de la main d’œuvre, centralisation des données, supply chain ) qu’a connu ce secteur ont en effet conduit à l’enfermement progressif de l’organisation du magasin sur elle-même. Soumis à de fortes injonctions institutionnelles, les managers sont contraints à prendre davantage de risques et à en faire également prendre aux employés.
Face aux obstacles que constituent le droit du travail et le droit syndical étasunien, mais surtout les dispositifs antisyndicaux mis en place par le géant de la grande distribution et plus grand employeur privé mondial, Walmart (1,3 million de salarié(e)s aux États-Unis, 2,2 millions dans le monde), nous verrons dans cet article comment le syndicat United Food and Commercial Workers (UFCW) tente d’organiser les salarié(e)s et de déconstruire l’argumentaire développé par l’entreprise. Cette dernière met notamment en avant un investissement coûteux, c’est-à-dire engendrant un risque de représailles managériales en cas de contestation et de participation aux mobilisations, un coût économique élevé (cotisations syndicales), et une faible influence du syndicat sur les conditions de travail et d’emploi. Cette déconstruction passe principalement par le développement d’une stratégie de contournement de la forme syndicale par le biais de la forme associative. À travers le cas de l’association Organization United for Respect at Walmart (Our Walmart) observé lors de ses premières années d’existence, il s’agit en effet de souligner les dispositifs managériaux, institutionnels et organisationnels ayant mis à l’écart les syndicats et plus largement la critique sociale pendant un demi-siècle d’existence, des verrous qui se sont avérés par le passé parmi les plus efficaces au sein de l’enseigne de distribution et qui connaissent aujourd’hui des mutations importantes.
Cet article s’intéresse à l’Organization United for Respect at Walmart, l’une des initiatives nationales les plus ambitieuses en matière d’organisation de la main-d’oeuvre aux États-Unis au cours de la dernière décennie. S’appuyant sur une enquête qualitative menée autour du travail d’organisation des employés lors d’actions et de mobilisations de OUR Walmart (OWM) de 2013 à 2018, il revient sur les transformations de la campagne d’organisation des inorganisés (organizing) du géant de la grande distribution.
À partir d’une approche diachronique des dimensions pratiques et rhétoriques d’OWM, nous verrons que l’effort d’organisation lancé par le grand syndicat des travailleurs de l’alimentation et du commerce UFCW, puis sa poursuite de manière indépendante après 2014, ont conduit OWM à opérer un virage numérique. Cet article montre, plus spécifiquement, que le lancement d’OWM dans le cadre d’une campagne syndicale visant le distributeur Walmart et son existence en tant qu’association indépendante depuis se caractérisent par deux approches de l’organisation des inorganisés.
Au terme d’une revue de littérature portant sur les enjeux de cette stratégie, sur les caractéristiques de la campagne et la méthodologie adoptée, l’article examine comment OWM est passée d’une approche de l’organisation des inorganisés par un grand syndicat des services à une campagne beaucoup plus modeste en effectifs et en ressources financières. Liant innovations numériques et participation active des salariés, le virage technologique et réticulaire entamé par OWM souligne ainsi une opportunité de rendre visibles les inégalités raciales et de genre, tout en favorisant la coconstruction d’une solidarité professionnelle à grande échelle dans une entreprise et un secteur auparavant jugés hors d’atteinte et qui aujourd’hui, se trouvent particulièrement exposés en matière de risques en santé et sécurité au travail.
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