Rimbaud est connu pour la violence de sa poétique, étrangement liée à sa fascination pour le « Nombre et […] l'Harmonie », mentionnés dans la plus fameuse de ses lettres comme le but de sa quête. Cette violence prend diverses formes, parmi lesquelles les conflits de doubles, dans certaines illuminations comme dans la section « Délires I » de Une saison en enfer, peuvent évoquer au lecteur moderne les aspects majeurs de la théorie de René Girard : la rivalité mimétique, engendrée par la contradiction émanant d'une instance paternelle. Cette analyse poétique de la violence est plus évidente chez C.-F. Ramuz, le poète et romancier suisse qui vouait une sorte de culte à Rimbaud. Ramuz a d'ailleurs été injustement considéré comme un écrivain « régionaliste » ; son oeuvre, comme celle de Rimbaud, est universelle, puisque les causes et les effets de la « violence fondatrice » selon Girard, se voient cernés dans les récits de Ramuz. Le rapprochement de ces écrivains peut s'étendre à Henri Bosco, poète et romancier français, dont la vision métaphysique est éclipsée elle aussi par son injuste réputation de « régionalisme » ; Bosco est un autre poète universel, ne serait-ce que par les conflits de doubles, définis par luimême comme le thème majeur de son oeuvre. Le mimétisme, mais encore et surtout les vertus cathartiques de la crise sacrificielle, tels que les cerne Girard, sont en effet questionnés par Bosco. L'association de Ramuz et de Bosco ne doit pas surprendre, et d'autant plus que le souvenir de Rimbaud hante maints romans de Bosco, même si ce dernier n'a pas avoué cette dépendance, sinon dans la citation de « Une Saison en Enfer » dans son premier roman publié. 2 Enfin ces trois auteurs ont en commun une vision singulière de la forme poétique, l'Harmonie chère à Rimbaud, qui n'en est pas moins l'objet d'une sorte de remise en cause implicite, dans les oeuvres mêmes qui, chez Rimbaud et ses deux successeurs, répondent pourtant à ce critère. Les vertus cathartiques dont nous parlions sont-elles aussi celles de l'harmonie des formes artistiques ? Ce problème qui sous-tend l'oeuvre de ces trois auteurs n'est pas abordé dans la théorie de René Girard. Mais cette théorie n'en est pas Rimbaud, Ramuz, Bosco : la forme poétique et ses vertus cathartiques Carnets, Deuxième série-12 | 2018