Sénèque, pour communiquer l'expérience du sacré, recourt aux sources à la fois du lexique et de l'imagination. Du lexique : révélateur entre tous, l'emploi de sacer dans la Lettre 41, 1-5. Devant la grandeur sauvage de certains paysages, nous sommes saisis, dit Sénèque, par le sentiment qu'ils recèlent une présence sacrée ; la même certitude nous envahit lorsque nous nous trouvons en face d'un sage, révélant ainsi l'existence en l'homme de bien d'un principe divin, d'un sacer spiritus qui n'est autre qu'une étincelle de raison divine logée dans le cœur humain. Mais le sacré se conçoit aussi par l'imagination : c'est la longue description allégorique de l'âme sage, dans la Lettre 115, 3-5, qui ne se contente plus d'énoncer le sacré sur le mode conceptuel, mais s'efforce d'en communiquer l'intuition ; ce sont aussi les ensembles métaphoriques, présents d'un bout à l'autre de l'œuvre du philosophe, qui tendent à assimiler le sage et la sagesse à la divinité. Ainsi la source du sacré, pour le moraliste, est-elle moins le dieu stoïcien, diffus et trop abstrait, que le sage et la sagesse.
Comment lire les tragédies de Sénèque ? Une attitude déjà ancienne consiste à y voir une sorte de manifeste stoïcien, une mise en scène de la doctrine morale du portique ; à l'inverse, certains critiques se refusent à les considérer autrement que comme des objets esthétiques, de pures œuvres d'art. Entre ces interprétations opposées (sans parler de toute la gamme des intermédiaires), faut-il vraiment choisir ? L'exemple des vers 130 à 135 de Phèdre montre que ces interprétations se superposent plus qu'elles ne s'excluent. En effet on peut aisément montrer que ces quelques vers, par lesquels la nourrice adjure Phèdre de se guérir de sa maladie d'amour tant qu'elle n'est encore qu'à ses débuts, sont un précepte stoïcien : des rapprochements avec les œuvres philosophiques de Sénèque, ainsi que ce que l'on sait par ailleurs de la psychologie et de la thérapeutique morale du Portique, étayent cette thèse. Mais d'un autre côté le même précepte apparaît dans cette parodie de médecine de l'âme que sont les Remèdes à l'amour d'Ovide, ainsi que, comme simple vérité de sens commun, dans plusieurs textes élégiaques. Le spectateur antique au fait de ces diverses traditions pouvait donc voir dans ce passage de Phèdre soit un thème typiquement stoïcien, soit un lieu commun moral, soit une banalité d'expérience. Cet exemple nous semble représentatif de la plurivocité des tragédies de Sénèque : textes riches, dont on ne saurait imposer autoritairement une interprétation unique, mais qui admettent de façon concomitante plusieurs « niveaux » de lecture, tous légitimes.
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