Si l’histoire des rapports entre écriture et oralité met en perspective des agencements permanents, la Modernité occidentale a donné une place prépondérante à la littératie. Dans la France hexagonale des XIXè et XXè siècles, la tradition orale et les langues régionales ont alors connu une dépréciation au profit de la langue nationale écrite. En même temps que des pratiques oratoires telles que la rhétorique et la poésie orale étaient exclues de l’enseignement, les écrits en langue minoritaire, particulièrement s’ils étaient à visée littéraire, étaient assignés à la littératie vernaculaire et la culture populaire. Le retour contemporain de l’oralité, particulièrement visible dans l’émergence du slam, se heurte donc au statut prépondérant donné à l’écrit et à la langue hégémonique. Dans les sociétés coloniales françaises, le système scripturaire a également été conçu comme un instrument de civilisation, mais réservé à une élite favorable au système colonial. La scolarisation a donc été basée sur la francisation, restreignant ainsi l’éducation des subalternes à une littératie rudimentaire. Ce processus de minorisation a eu des conséquences sociolinguistiques importantes dans les territoires français d’Outre-mer, qui conjuguent diglossie et colonialité. A l’Île de La Réunion, où le créole est la langue première de la majorité de la population, le rapport à l’écrit et à la langue dominante a ainsi longtemps participé d’une exclusion des textes créolophones de la littérarité. Il faudra attendre la fin du XXè siècle pour que soit remise en cause une littératie monolingue et que la tradition orale créole retrouve sa propre historicité linguistique et culturelle.
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