Cet article s’arrête sur les difficultés pratiques et théoriques du traitement par un non-juriste des dimensions juridiques de son objet de recherche. Il illustre ce problème à partir d’une thèse de sociologie soutenue en 2016 consacrée à la médecine légale. En s’attachant à décrire une activité d’expertise, les attributs de ceux qui la réalisent et le cadre dans lequel elle s’inscrit, il s’agissait moins d’étudier le droit de la preuve que d’éclairer le processus à travers lequel les experts médico-légaux participent à la transformation d’une preuve scientifique en une preuve judiciaire. Cette perspective a impliqué de caractériser les experts comme des « intermédiaires du droit » qui participent à sa mise en œuvre en éclairant le juge sur un problème technique. Ce faisant, on a pu saisir toute l’amplitude du droit en matière d’expertise médico-légale, depuis les règles juridiques encadrant la discipline jusqu’aux légalités ordinaires façonnant les pratiques des experts. L’article poursuit cette idée d’une approche pluraliste du droit à partir du cas de l’affaire Adama Traoré au prisme des batailles d’experts auxquelles, cinq ans après, elle continue de donner lieu. En définitive, on défend ici que, si le droit est une contrainte de départ pour le sociologue non juriste, l’amplitude de ses modes en présence dans l’enquête constitue une ressource pour la compréhension de phénomènes sociaux qui y sont rattachés.
In France, judicial expertise operates within a specific institutional framework at the same time as it covers a distinctive community of practitioners called upon for their technical or scientific knowledge to serve justice. Indeed, while experts in the US are selected by the litigants, the French model features judge-appointed experts. This model could offer better guarantee of independence and neutrality, to the point that recent developments in the US suggest the emergence of a new court-appointed expert. What does such an institutional model involve in terms of evidence production? To answer this question, this paper looks at two areas of expertise in France: economic experts and forensic pathologists. Through an ethnography of the co-production of legal evidence, it analyses the black box of the French practices of legal expertise and allows the way in which the institutional context influences the producing of legal evidence, beyond differences between a scalpel and a calculator, to be understood.
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