Au coeur des spéculations dont la question paysagère a fait l'objet ces dernières décennies dans le domaine scientifique et philosophique, il y a l'idée, défendue par certains théoriciens, que le paysage n'est pas un simple donné perceptible, de tout temps et partout à portée de regard, mais plutôt une forme spécifique d'appréhension de « la nature » et du monde environnant -« a way of seeing » (Cosgrove, 1984) -qui serait propre à une période de l'histoire, à certains mondes sociaux et à certaines aires culturelles. La promotion de cette conception du paysage -il convient d'insister sur ce point -ne correspond pas à une simple revalorisation de ses dimensions symboliques et imaginaires, réagissant à une certaine focalisation des scientifiques -des géographes notamment, mais aussi des historiens et aujourd'hui des landscape ecologistssur sa dimension « matérielle » ou biophysique. Ce que porte ce paysage assimilé à une forme de regard, c'est la question même des modalités de l'identification du monde environnant, posée du point de vue de leur hétérogénéité sociale, culturelle et historique. Les enjeux épistémologiques sous-jacents à cette appréhension de la notion de paysage apparaissent, ainsi, particulièrement prégnants. Ils n'ont trait à rien moins qu'à la construction/reconstruction de l'identité et des interfaces de certaines disciplines des sciences humaines et sociales. Cela est vrai pour la géographie, mais aussi, quoique parfois dans une moindre mesure, pour d'autres disciplines concernées par cette même idée du paysage : histoire de l'art, anthropologie, philosophie esthétique... Mais ces enjeux sont aussi, et inséparablement, d'ordre politiques et sociétaux, à l'heure où la notion de paysage sert d'étendard à certaines conceptions alternatives de l'aménagement, de la gestion, de l'urbanisation et de la patrimonialisation des territoires (Luginbühl, 2007(Luginbühl, et 2012.Les lignes qui suivent proposent une exploration de cette conception du paysage à partir d'un point de vue particulier : celui des discours qu'elle a générés, et dont elle apparaît de fait inséparable, sur les « origines » du paysage, c'est-à-dire sur le moment -mais cette question du moment est indissociable de celle du lieu -où émerge cette forme de regard sur le monde environnant. Situer ce moment de l'« invention » du paysage -pour reprendre une expression dont différents auteurs ont fait à ce propos usage -c'est prouver l'irréductible