Biomaîtriser les identités ? 6 une circulation impériale entre l'Inde, l'Afrique du Sud et le Royaume-Uni, pour se diffuser ensuite dans l'hémisphère Nord 3 .Aujourd'hui comme hier, la biométrisation des identités a pour motif principal le contrôle des mobilités des individus, soumises à des régimes de surveillance militaro-policière de plus en plus drastiques et mortifères. L'obsession terroriste et celle des politiques anti-migratoires en constituent aujourd'hui la principale logique. Mais la biométrie se pare aussi désormais des atours démocratiques de l'accès aux droits, de la « bonne gouvernance » et du développement. Doter chaque individu d'une identité légale est en effet devenu, en 2015, un des « Objectifs du développement durable » (objectif n° 16.9) consacré par l'ONU et toutes les agences d'aide internationale. L'enjeu est particulièrement crucial en Afrique où la couverture de l'état civil était globalement encore faible au début des années 2000. Alors que se déploie, depuis une décennie, un vaste ensemble de programmes visant à améliorer les systèmes d'enregistrement des faits d'état civil et de production des statistiques vitales (CRVS, Civil Registration and Vital Statistics), les technologies biométriques se sont rapidement imposées comme des outils permettant de relever le défi de l'identification massive des personnes, sur la double promesse de leur efficacité et de leur fiabilité, partagée paradoxalement par les polices des frontières et les défenseurs des droits humains.Biomaîtriser les identités ? Le titre du présent dossier, sous forme de jeu de mot et d'interrogation, peut laisser penser qu'il vise d'abord et avant tout à déconstruire ce nouveau culte du cargo biométrique. Son intention politique, assumée, est effectivement double : mettre en question, d'un côté, les utopies/dystopies de l'« Émergence » biométrique et l'illusio démocratique de l'universalisation des droits par la technologie ; et de l'autre, les dérives d'une biopolitique internationale fondée sur la criminalisation des « sanspapiers », le contrôle des mobilités et la marchandisation des identités, sous l'empire néocolonial des firmes high-tech qui, au nom des « partenariats publicprivé », prennent désormais en charge la fonction souveraine de recenser les citoyens. La majorité des travaux sur la biométrie, concentrés sur les pays du Nord, abordaient jusqu'à récemment le sujet plutôt sous l'angle des problématiques de la surveillance et des techniques policières de contrôle 4 .
Usages de l'histoire et mémoires de la colonie dans le récit indépendantiste casamançais : des écritures casamançaises de soi 1 (1982-2000'). Séverine Awenengo Dalberto Centre d'études des mondes africains « Nous répondons, et ce faisant, nous écrivons et réécrivons l'histoire de la Casamance » 2. Cette formule est de l'abbé Diamacoune Senghor, chef historique du Mouvement des forces démocratiques de Casamance jusqu'à sa disparition en 2007 et principal producteur du récit nationaliste. Elle témoigne de l'un des ressorts et des effets de la revendication indépendantiste de la Casamance, région sud du Sénégal en lutte depuis près de trente ans : la production d'une nouvelle histoire comme affirmation et narration de soi. Si elle se dit histoire, elle relève des dispositifs de la mémoire et de la construction identitaire : une pensée actuelle sur le passé, une mémorisation des rapports passés fonction des expériences sociales présentes. Ce passé réévalué et réécrit dans la narration du MFDC s'est principalement ancré dans le moment colonial, qui est apparu à la fois comme une ressource et une source de la revendication et de sa légitimation vis-à-vis de l'État. L'idée d'une autonomie de la Casamance avait couru dans l'imaginaire ethnocentré des administrateurs et colons de Casamance, particularisant la région par rapport au reste de la colonie du Sénégal. Elle avait été transmise à quelques reprises aux élites africaines locales. Mais cette imagination d'une Casamance indépendante n'avait jusqu'alors jamais suscité, ni avant ni après l'indépendance du Sénégal, de revendication, de pacte ou de mobilisation : cette idée ne portait pas de signification, n'accrochait pas, alors, les expériences sociales des populations de Casamance résolument engagées dans la construction du Sénégal postcolonial. La revendication indépendantiste n'est donc pas le simple résultat d'un conflit d'histoire et de mémoire opposant l'État, le Sénégal et les populations de Casamance, ni un conflit de géographie et de géopolitique prenant ses racines dans les territorialisations coloniales française et britannique qui ont produit une « coupure » gambienne, séparant la région sud du reste du territoire sénégalais. Elle a ainsi plutôt été le fruit d'un travail complexe de mobilisation politique dans un contexte de crise du lien entre l'État et les Joola 3 , une crise contemporaine de la mobilisation, c'est-à-dire à la fin 1970 et au début 1980. Cette mobilisation a utilisé les répertoires identitaires issus des travaux culturels et des inventions de la tradition amorcés dans les années 1950, accélérés et généralisés dans les années 1970 par des élites intermédiaires joola engagées sur les chemins de l'école et de la migration urbaine. Canalisant le potentiel hétéroclite de mécontentements, investissant une identité joola en construction,
La première carte d’identité d’Afrique occidentale française (1946-1960) : Identifier et s’identifier au Sénégal au temps de la citoyenneté impérialeCet article explore le projet et la mise en œuvre au Sénégal de l’arrêté général du 17 octobre 1949 qui institua en Afrique occidentale française (AOF) le port d’une carte d’identité fédérale. Ce projet correspondait à la volonté de généralisation et d’uniformisation de l’identification légale personnelle consécutive à la réforme de l’Empire après-guerre. La fin du régime de l’indigénat et l’octroi de la citoyenneté impériale requéraient en effet que s’établisse un rapport nouveau entre l’État et des individus singuliers, en rupture avec l’approche catégorielle qui avait jusqu’alors été au fondement du gouvernement impérial. Si, à travers l’analyse de l’extension de l’état civil dans les années 1950, l’historiographie a pu récemment éclairer les limites de la nouvelle gouvernementalité coloniale et l’ambivalence de la citoyenneté impériale, l’histoire de cette première carte d’identité est restée un angle mort de la recherche sur les dispositifs d’identification mis en place après-guerre. En mobilisant de nouveaux matériaux archivistiques et empiriques et par un changement d’échelle d’observation, cet article invite à poursuivre la réflexion entamée et à en nuancer certaines conclusions. Il s’attache non seulement à explorer la fabrique bureaucratique, sociale et politique de la carte d’identité, à questionner les régimes de véridiction de l’identité légale, mais aussi à éclairer la manière dont des Africains et des Africaines envisagèrent ces documents, qui furent aussi des supports d’expériences du monde social et, parfois, intime.
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