Jeunes de la cité » et contrôle du territoire : le cas d'une cité de la banlieue parisienne Un soir, j'étais avec Brice (22 ans), un jeune d'une cité HLM parisienne où j'ai mené plusieurs années d'enquête (1999-2003). Nous étions dans sa voiture et quelques clients passaient rapidement (Brice est un des plus importants dealers de cannabis de la cité, il vend au détail pour le compte d'un certain Grand Farouk, dont nous parlerons ultérieurement). Brice et moi parlions d'un album de rap qui lui rappelait l'époque où il s'était retrouvé à la rue 1 , époque où il commença aussi réellement à vivre du trafic de cannabis. En face de nous, les adolescents de la « bande à Embre » s'échangeaient une mobylette et faisaient des acrobaties. La mobylette appartenait à une entreprise de livraison de pizzas. Coup classique, les membres de la « bande à Embre » avaient commandé plusieurs pizzas, puis avaient dépouillé le livreur. Ils n'avaient pas suffisamment peur pour se cacher, au beau milieu du territoire de leur cité, ils s'exhibaient aux yeux de tous et avaient l'air de se sentir en sécurité, comme s'ils étaient dans une enclave protectrice. Soudain, trois petits sifflements presque imperceptibles dans le flot d'une conversation, furent interprétés par Brice comme le signal qui alerte de l'arrivée imminente de la police. Effectivement, quinze secondes plus tard, un véhicule de police passa et repassa devant nous. Brice déclara : « Ils doivent chercher quelqu'un à tourner comme ça. Peut-être à cause du livreur de pizza ? Mais ils ont tous eu le temps de bouger de là (la plupart des membres de la « bande à Embre » se sont éparpillés à l'arrivée de la police, en profitant de leur parfaite connaissance du territoire de la cité et de l'avance acquise grâce au « système d'alarme » actif sur le même territoire). C'est le signal je t'ai dit. Trois petits sifflets comme ça, en général, c'est la police qu'arrive ». Moi : « C'était pas aussi organisé avant ? » Brice : « C'est nous aussi, c'est notre génération, c'est nous qui avons expliqué aux p'tits de faire trois sifflements dès qu'ils voient la volaille (les policiers). » 1 Brice habitait jusqu'ici seul avec sa mère, qui gagne le RMI et travail souvent au noir. Brice dit que sa mère l'a expulsé pour l'obliger à « se prendre en main ». Brice fut ainsi contraint de dormir dans une cave, avant de s'installer pendant une année chez un jeune adulte du groupe « jeunes de la cité » qui est un des rares à louer son propre logement. Pendant cette période, Brice gravit les échelons de la vente de cannabis et acquit ensuite suffisamment d'argent pour avoir son chez soi. Un système « d'alarme » pareil était encore impensable il y a quelques années, pas de manière aussi codée, rapide et efficace. Le contrôle du territoire devient ici un enjeu de plus en plus important qui oblige « les jeunes de la cité » à s'organiser. Mais qui sont ces « jeunes de la cité » ? En observant trois cités HLM, j'ai été amené à distinguer les jeunes occupant l'espace public, de ceux l'utilisant principalement comme ...
No abstract
Sauvadet thomas, « Marginalité juvénile et lois du silence : l'entre-soi des jeunes de rue des cités HLM », dans Hamel J., Pugeault-Cicchelli C., Galland O., Cicchelli V. (dir.), La jeunesse n'est plus ce qu'elle était, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, pp. 279-290. Marginalité juvénile et lois du silence : l'entre-soi des jeunes de rue des cités HLM Résumé : À partir d'une recherche socio-ethnographique sur les « bandes » de jeunes dans trois cités HLM (deux en région parisienne, une à Marseille), l'article définit un entre-soi juvénile, populaire, masculin et ultraconcurrentiel où prédominent différentes formes de « loi du silence » caractérisées par la mise à distance des adultes, des institutions et aussi de l'enquêteur. 1) Présentation des enquêtés et des silences entre enquêtés et enquêteur Cet article s'appuie sur trois recherches socio-ethnographiques réalisées entre 2000 et 2003 dans le cadre d'une thèse de doctorat (Sauvadet, 2006) : la première dans un quartier de la banlieue sud de Paris (3 000 habitants), la seconde dans un quartier de la banlieue nord-parisienne (1 500 habitants), la dernière dans un quartier du nord de Marseille (5 000 habitants) 1. Dans chacun de ces trois quartiers, l'enquêteur aperçoit et rencontre toujours les mêmes garçons dans les rues. Ils déambulent, occupent les halls d'immeuble, les terrains de sport et les sous-sols, le café du coin et le centre social. Ils se connaissent tous, s'attribuent des surnoms et intimident les autres jeunes de leur quartier. « Nous sommes les jeunes du quartier », disent-ils, alors même qu'ils ne représentent qu'environ 10 % de la jeunesse locale de sexe masculin. L'occultation des 90 % restants (et de la quasi-totalité des filles) ne leur pose aucun problème. Ils pensent être « les jeunes du quartier » du simple fait qu'ils sont les seuls jeunes à utiliser les rues de leur quartier comme un lieu de 1 Conformément à la demande de certains enquêtés, les lieux et les noms resteront anonymes. Dans la suite du texte, ces terrains s'appelleront « Paris Sud », « Paris Nord » et « Marseille ». Ces terrains correspondent à des cités HLM. 2 vie et non simplement comme un lieu de passage 2. Voilà pourquoi nous préférerons les appeler des « jeunes de rue », ce qui ne signifie pas qu'ils sont sans domicile fixe. Ces jeunes correspondent à la population ciblée par l'enquête. Les autres jeunes de leur quartier constituent une majorité silencieuse et invisible, comme l'explique Habib lorsque je lui fais remarquer que les « jeunes du quartier » autoproclamés ne représentent qu'une minorité de la jeunesse locale : « D'accord, mais y'a que nous dans le quartier, que nous les mecs de rue. Les autres se cachent. Tu les vois jamais. Ils passent, ils rentrent chez eux et ils y restent. Ils connaissent rien de la vie du quartier. Ils connaissent personne dans le quartier. Ils connaissent juste un gars ou deux, c'est tout. C'est pas des vrais jeunes du quartier (Habib, 19 ans, Paris Nord). » Les jeunes de rue représentent une anormalité sociale pour ceux...
Résumé Novembre 2005, à l’instar de nombreux quartiers populaires de l’hexagone, une cité du Sud de Paris est agitée par les émeutes urbaines. Pour la plupart entre 15 et 20 ans, les émeutiers font partie de cette jeunesse « de rue » qui grandit à l’ombre des barres d’immeubles. Volonté de contester un ordre social qui les discrimine, désir de vengeance à l’encontre de certains voisins qui ne cachent pas leur racisme, les motivations de ces enfants de la cité sont diverses.
scite is a Brooklyn-based organization that helps researchers better discover and understand research articles through Smart Citations–citations that display the context of the citation and describe whether the article provides supporting or contrasting evidence. scite is used by students and researchers from around the world and is funded in part by the National Science Foundation and the National Institute on Drug Abuse of the National Institutes of Health.
customersupport@researchsolutions.com
10624 S. Eastern Ave., Ste. A-614
Henderson, NV 89052, USA
This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.
Copyright © 2024 scite LLC. All rights reserved.
Made with 💙 for researchers
Part of the Research Solutions Family.