Les problématiques abordées dans cette étude du théâtre de la révolution guna ont pour origine une proposition forte d’Edmund Leach (1954), selon laquelle « il faut étudier l’esthétique d’un peuple pour en comprendre l’éthique ». L’hypothèse de travail ici est que l’esthétique du drame au sein du peuple guna constitue un objet privilégié de recherche pour la compréhension de son éthique sociale. L’objectif de l’article est d’apporter de nouveaux éléments au débat sur l’art, la politique et la mémoire sociale par le biais d’une réflexion sur le « patrimoine moral », c’est-à-dire un ensemble de valeurs à mettre en scène, affirmer, préserver et transmettre. Sur la base de l’exemple du théâtre communautaire guna, il sera possible d’envisager une définition renouvelée de l’« héritage », désignant à la fois les activités mnémonique et émotionnelle. L’approche développée dans cet article doit beaucoup à la perspective inaugurée par les études de Carlo Severi sur le chamanisme guna en tant que situation de représentation rituelle de la souffrance. Ancré dans une ethnographie des dramatisations auxquelles l’auteur a pu assister dans le village d’Uggubseni en février 2017, cet article propose une analyse du théâtre communautaire en tant que dispositif permettant la production de positions relationnelles ou d’identifications qui rassemblent le mythe, l’histoire, le rituel et la parenté à travers l’expérience de la douleur et de la souffrance. Par là, il s’agit d’entreprendre une réflexion sur le théâtre communautaire à l’aune de la théorie pragmatique du rituel proposée par Carlo Severi et Michael Houseman.