Géographie des objetsLe 30 juin 2005, un lama -un moine bouddhiste -est invité en Valais pour bénir un chorten -un sanctuaire bouddhiste. Seules quelques personnes assistent à cette bénédiction. Celles-ci sont en majorité impliquées dans un projet qui leur tient à coeur : la construction dans le Bois de Finges au centre du canton d'une passerelle bhoutanaise, qui scelle un partenariat en devenir entre la Suisse et le Royaume du Bhoutan. Un journaliste est également présent pour couvrir l'événement. La passerelle, que le chorten agrémente, doit être elle inaugurée quelques semaines plus tard. Quelques jours après la bénédiction, la statue du bouddha nichée à l'intérieur du sanctuaire est vandalisée par des inconnus. Elle est recouverte de cirage noir et la phrase « Wir sind Christen » 1 est inscrite sur son socle. Les élus de la commune de Loèche, sur laquelle sont situés la passerelle et le chorten, ainsi que les personnes concernées décident, devant cet acte, d'ériger une croix, comme un contrepoint à ce symbole de la religion bouddhiste. Des actes de vandalisme seront encore constatés quelques mois après : ces actes sont justifiés par une lettre anonyme adressée au président de commune. Ces trois épisodes questionnent le rôle joué par un objet matériel -un sanctuaire bouddhiste, une ruine de télécabine et des croix -dans un conflit entre différents individus et groupes. Ces objets ne forment pas simplement le contexte dans lequel se sont déroulées ces controverses, mais ils en sont les déclencheurs ; leur mise en visibilité médiatique est l'origine de la controverse et la nourrit. Comment alors les groupes et les individus se servent-ils des objets ? Et plus généralement qu'apporte la prise en compte de la matérialité dans l'appréhension de ces conflits ?
5Cet article vise à analyser les discours sur ces objets et à comprendre le rôle de ceux-ci dans la manière dont des groupes qualifient un espace. Car les objets n'acquièrent une vie sociale qu'au travers des individus qui s'en font les porte-parole (Pels et al., 2002, p. 11) et au travers des récits qui sont produits sur eux (Harré, 2002). À première vue, on pourrait dire que des groupes s'appuient sur la matérialité pour diffuser leur message, que l'objet est un vecteur des intentions dont ils sont porteurs. Mais ces groupes ne font pas que produire de la signification en construisant ou en mobilisant des objets ; en intervenant sur la matérialité (en sciant des croix, en maculant un chorten, en brocardant des banderoles sur un bâtiment abandonné), les groupes et les individus qui les composent disent si un objet est à sa place ou ne l'est pas -« in-place » ou « out-of-place » (Cresswell, 1996). Il s'agit donc pour les groupes d'affirmer l'incongruité ou la congruité d'un objet dans un espace qualifié d'une certaine manière : un espace qui peut être générique (par exemple, la montagne) ou spécifique (un lieu particulier). Ces luttes autour d'objets matériels ne manquent pas de soulever des enjeux politiques. Elles posent la question de quels groupes ou que...