Aux origines de la préoccupation marchande à la SNCF (1960-2011)

L’évolution des modèles économiques des lieux de transport

“…Le secteur des transportscomme le reste des infrastructures urbainesest dominé par de grandes firmes publiques opérant à l'échelle nationale comme la SNCF, la Deutsche Bahn (DB) ou la British Airports Authority (BAA). Le monopole naturel de ces infrastructures et leur importance dans l'aménagement du territoire ont conduit les États à assurer une tutelle sur les réseaux ferroviaires (Finez 2013) et aéroportuaires (Villard 2009), considérés comme des services publics. Cette régulation publique se traduit notamment, dans le cas du ferroviaire, par une péréquation tarifaire qui permet le maintien des petites lignes déficitaires grâce aux trajets plus rentables sur les lignes principales (Finez 2014).…”

“…Dans les années 1980, le passage d'un modèle de régulation publique des infrastructures ferroviaires et aéroportuaires à un modèle de régulation davantage axé sur le marché s'affirme sous l'effet de différentes logiques, notamment de l'ouverture du capital de ces firmes aux acteurs privés. À partir du cas de la SNCF, Finez (2013) montre cependant qu'il serait artificiel d'opposer strictement les entreprises publiques et celles privées ou privatisées. En effet, bien qu'elle reste entièrement détenue par l'État français, la SNCF a progressivement adopté un mode de régulation marchand, suivant des formes et des temporalités différentes en fonction des activités concernées (gares, trafic voyageurs, fret, etc.).…”

“…Cette diversification croissante des sources de financement des lieux de transport s'articule à des évolutions de la gouvernance de ces lieux et de l'organisation interne des institutions gestionnaires par le développement de partenariats avec des acteurs spécialistes de la valorisation commerciale et immobilière, la création de filiales dédiées à la gestion de site ou encore le recrutement de nouveaux profils (McNeill 2010 ;Finez 2013). Ces gestionnaires deviennent ainsi des acteurs de la production urbaine et certains, tels que la RATP (Delépine 2020), revendiquent le terme d'« ensemblier urbain » (Lorrain 2002), par analogie avec les entreprises privées de services urbains (par exemple, liées à l'eau ou aux déchets) et les grands promoteurs immobiliers qui ont diversifié leurs activités.…”

Dialogue social européen et innovation : l'exemple du secteur des chemins de fer

“…Le nombre de ces nouvelles entreprises ferroviaires et le degré de libéralisation des marchés ferroviaires nationaux diffèrent cependant beaucoup d'un pays de l'Union à l'autre 14 , les entreprises historiques du secteur y conservant dans la majorité des cas leur position dominante. La libéralisation a d'autre part été un des facteurs de réorganisation des anciens monopoles publics et de modifi cation de leur stratégie, marquée par une volonté de « dé-singularisation » de ces opérateurs historiques, qui se traduit notamment dans la gestion des ressources humaines (Alber, 2011 ;Finez, 2013).…”

Changer les têtes plutôt que les mentalités ?

“…En effet, depuis sa création, en 1938, par absorption partielle d'opérateurs ferroviaires privés en faillite, la SNCF a été engagée dans une lutte quasi permanente pour assurer sa survie financière, du fait notamment des coûts d'unification de réseaux techniquement incompatibles qui ont précédé la reconstruction de l'après-guerre. Elle a dû, dès les années soixante 1 , engager une « politique libérale », -selon les termes de G. Ribeill (1985) -, axée sur la réduction des déficits et sur une politique commerciale inspirée par le secteur privé et, dès les années quatre-vingt, des campagnes de recrutements ont visé à attirer des « cadres commerciaux issus du secteur privé et de jeunes diplômés de grandes écoles de commerce » (Finez, 2013) afin d'accompagner le tournant commercial de l'entreprise. Aussi faudrait-il trouver une autre manière de qualifier les changements survenus durant les vingt dernières années, qui doivent plus aux règles européennes de mise en concurrence qu'à une volonté intrinsèquement novatrice de modernisation.…”