Depuis une quinzaine d’années, des entrepreneurs de réforme tentent de moderniser l’État en s’inspirant de mouvements issus du monde Internet qui, paradoxalement, portent une critique radicale des bureaucraties publiques. En décrivant la manière dont ces réformateurs essaient d’acclimater les normes et les pratiques de ces mouvements au sein de l’administration, nous élaborons dans cet article une sociologie du travail de réforme à l’ère numérique. Notre enquête s’appuie sur l’étude de cas des entrepreneurs de réforme qui se mobilisent en France pour transformer l’État par les communs numériques, à partir d’entretiens semi-directifs, d’observations ethnographiques en ligne et d’un corpus de littérature grise (notes, rapports, textes législatifs). L’article permet d’enrichir la littérature sur les réformes d’État en mettant au jour les modalités singulières du travail de réforme en régime numérique, consistant à problématiser, instrumenter, trouver des prises sur l’institution et constituer des soutiens. Nos résultats montrent que ce modus operandi, inspiré de l’éthos des mouvements critiques du monde Internet, est difficilement compatible avec une institutionnalisation forte, mais parvient néanmoins à une institutionnalisation faible de ces projets réformateurs.