Résumé : La présente étude concerne l'évolution sémantique et formelle d'un adverbe épistémique du kirundi, umeengo/umeenga, les deux formes constituant des variantes libres. Elle est une des premières études s'inscrivant en linguistique de corpus pour les langues bantoues, une démarche rarement adoptée pour cette famille de langues, de même qu'elle étudie une catégorie grammaticale généralement négligée dans les études linguistiques, c'est-à-dire l'adverbe. Nous décrivons les différents emplois de umeengo/umeenga : comme adverbe, mais aussi comme comparatif, et dans les emplois du verbe qui en émerge à l'étape suivante dans son évolution. Ses origines sont éclairées par un indice retrouvé en kinyarwanda, langue proche du kirundi, ainsi que dans la variante dialectale du kirundi parlée à l'ouest du Burundi, dans la région de l'Imbo. D'après ces éléments, il apparaît que cet adverbe est formé par univerbation, plus précisément par fusion d'un verbe conjugué, umenya (du verbe -meny-« connaître ») et du quotatif ngo « que ». Dans la suite du processus, à partir de cet adverbe épistémique, se forme un nouveau verbe, -meeng-« croire ; penser », différent de celui du départ, tant dans le sens qu'au niveau de la forme. Une telle évolution au sein de l'adverbe, qui naît d'un verbe et débouche lui-même à la naissance d'un autre verbe, est rare dans les langues du monde, de là l'intérêt de notre analyse. Dans cette étude, nous nous interrogeons sur la nature des processus à l'oeuvre. Nous montrons que les changements structurels et sémantiques par lesquels l'adverbe umeengo/umeenga s'est (Mould 1977). Dans notre étude sur la modalité en kirundi, langue parlée au Burundi, nous apportons également une contribution à ce sujet en consacrant un chapitre aux adverbes épistémiques (Mberamihigo 2014). Il s'agit sans doute de la première étude systématique de ce genre d'adverbes pour une langue bantoue. Pour le kirundi, si nous pouvons faire préalablement un état des lieux du traitement de l'adverbe, nous constatons que la brièveté de la manière dont cette classe est abordée témoigne de ce moindre intérêt, ou de l'évitement dont il fait l'objet de manière générale. Elle n'est pas traitée dans la grammaire du kirundi de Meeussen (1959), pas plus qu'elle n'est évoquée dans l'index de cette étude. Ntahokaja (1994) réserve à l'adverbe un traitement dans le cadre des classes de mots. Néanmoins, il ne donne le détail que sur quatre espèces : les adverbes de lieu, les adverbes de temps, les adverbes de manière et les adverbes d'affirmation et de négation. Quant à Cristini (2001), il leur consacre un chapitre, où il en décrit la formation, en grandes lignes. Il répertorie les 1 Les recherches pour cet article ont été effectuées dans le cadre du doctorat du premier auteur (2010-2014) sous la direction des deux autres auteurs. La thèse a été faite en cotutelle entre l'Université libre de Bruxelles et l'Université de Gand et a été financée par une bourse du Gouvernement du Burundi. Nous tenons à remercier deux collègues anonymes ainsi que ...