Du 9 au 11 mai , Patrick Lagacé (2015a, 2015c, 2015d) a publié dans le journal La Presse une série de textes sur la synergologie qui, à tout le moins, présentait une vision très critique de cette approche qui prétend pouvoir interpréter les gestes de tout un chacun. En réponse à cette série de textes, le créateur de la synergologie, Philippe Turchet, a mis en demeure, par la voix de son avocat, La Presse et Lagacé de se rétracter et de s'excuser. Les arguments développés dans cette mise en demeure 2 , partagée par Turchet et d'autres tenants de la synergologie sur les réseaux sociaux, incluant Twitter et Facebook, étaient-ils justifiés au plan scientifique ? La synergologie fait-elle partie du domaine de la science ou n'est-elle qu'une pseudoscience du décodage du non-verbal ?Pour tenter de répondre à ces questions, nous présenterons d'abord trois éléments importants à considérer lorsqu'on tente de déterminer le caractère scientifique de connaissances : la notion de paradigme de Kuhn, le critère de réfutabilité de Popper et les mécanismes d'autocontrôle de la science. Ensuite, nous décrirons brièvement la synergologie. Cette description permettra enfin d'évaluer si elle fait partie du domaine de la science ou si elle n'est qu'une autre de ces pseudosciences qui gravitent en marge des neurosciences et des sciences de la communication.
Les fondements de la démarche scientifique
3Bien que distinguer clairement la science des pseudosciences soit un défi important auquel est confronté l'épistémologie moderne, deux philosophes ont contribué significativement à la question et ont grandement influencé la compréhension de l'activité scientifique : Thomas Kuhn et Karl Popper. Dans cette section, nous présenterons des concepts centraux qui découlent de leur travail et qui permettent de mieux comprendre la nature de la science. Nous verrons ensuite des éléments d'autocontrôle utilisés de façon généralisée dans les différents domaines scientifiques : la révision par les pairs et la reproduction des résultats.
La notion de paradigme de KuhnL'ouvrage de Kuhn (1972), La structure des révolutions scientifiques, présente un modèle pour comprendre l'activité des chercheurs, lequel fait notamment appel à la notion de paradigme. Dans leur activité, les chercheurs, dont les travaux 426 2. Turchet, P. (2015). Série de P Lagacé sur la synergologie : La Presse mise en demeure par P Turchet. Repéré à http://fr.slideshare.net/turchet_philippe/serie-de-lagace-mise-en-demeure 3. Cette section reprend en partie le premier chapitre (p. 3-15) de l'ouvrage Quand le paranormal manipule la science (Larivée, 2014).sont fondés sur un même paradigme, partagent un ensemble de croyances, de valeurs et de techniques communes. Ainsi, leur façon de travailler engendre une tradition particulière de recherche où les découvertes fournissent une variété de problèmes à résoudre. Les résultats des recherches sont ensuite discutés dans des conférences, publiés dans des revues avec comité de lecture, puis consignés dans des manuels à la disposition des étudiants...