Entre ronds-points ruraux et assemblées urbaines, quels Gilets jaunes ?

When Bookchin faces Bourdieu. French ‘weak’ municipalism, legitimation crisis and zombie political parties

“…The most powerful recent social movement in France, the Gilets Jaunes , certainly reflects a territorial crisis, but not a primarily urban one. The movement has largely mobilised social groups – upper working-class and lower middle-class – mostly located in peri-urban areas that have been directly impacted by the creation of a carbon tax on fuel prices in 2018 (Blavier, 2021; Challier, 2019; Collectif d’enquête sur les Gilets jaunes, 2019). Bayırbağ and Penpecioğlu (2017) mention the importance of the containment mechanisms enforced by municipal institutions as a factor that prevents or mitigates the occurrence of urban social movements.…”

Les sciences sociales en gilet jaune

“…Même s'il faut aussi poser la question de la légitimation des fractions sociales plus hautes par les fractions les plus fragiles, notamment dans le maintien d'une mobilisation alliant classes populaires et moyennes 178 , les ronds-points ont surtout été décrits comme ayant une « fonction thérapeutique 179 » par leur solidarité envers celles et ceux qui étaient auparavant stigmatisé•es. Les plus défavorisé•es ont été réhabilité•es 180 , comme les SDF, les sans-emploi ou encore les handicapé•es qui pouvaient se rendre indispensables à la continuité des occupations et à la tenue des ronds-points par leur disponibilité 181 . A. Bernard de Raymond et S. Bordiec 182 ont souligné l'importance de ces places « coûteuses physiquement et mentalement » parce qu'elles impliquent de dormir dehors en hiver ou de construire les abris, porteuses de « gratifications symboliques » reçues à travers la gratitude exprimée par les autres.…”

“…Comme l'indique B. Coquard, « mêmes personnes qui pouvaient quelques mois ou années auparavant se dire "bien de droite" ou "100 % Le Pen" vont, au travers de ce mouvement, se tourner vers un ensemble de revendications privilégiant une meilleure répartition des richesses et un renversement plus ou moins radical de l'ordre politique 212 ». Ce processus a été analysé en Lorraine comme générateur d'un « nous » populaire plus unifié, qui réduit la méfiance à l'égard des plus démunis et renforce l'antagonisme vis-à-vis des classes supérieures, forgeant ainsi une « conscience protestataire 213 ». Il est décrit par F. Buton, C. Jouhanneau et E. Reungoat comme une possible « réarticulation de la question sociale » au détriment de la « focalisation croissante, initiée par le Front National il y a trente ans, autour des questions de migration et d'identité nationale dans l'arène partisane 214 ».…”

“…Lui qui « déteste les bougnoules » tombe amoureux sur le rond-point de Malika, puis finit par se confier, un peu honteux, « je vois plus trop pareil, ça a fait sauter des bouchons dans ma tête ». Bien que sur certains ronds-points ruraux, les Gilets jaunes prennent leurs distances avec les « assisté•es 216 », dans d'autres cas on constate une résorption au moins provisoire de la fracture sociale 217 . Ce phénomène est illustré par Luc, un artisan rencontré par W. Pelletier 218 , qui dit détester « les cassos qui pompent les aides » puis se lie d'amitié avec deux jeunes au RSA et dit à propos d'eux : « ils sont comme moi, comme moi gosse quand je trouvais rien ».…”

“…Si le mouvement a d'abord eu un puissant effet d'atténuation des frontières sociales, notamment à travers un processus de revalorisation symbolique 219 , ce premier moment semble avoir pris fin de manière précoce. Le délitement de l'unité du mouvement tiendrait à deux raisons : la répression « qui tend à séparer une sorte d'avant-garde manifestante du reste des Gilets jaunes qui n'osaient plus aller en manif » d'une part, et le retour des « logiques de divisions sociales ordinaires » par lesquelles « plus le rond-point était populaire dans sa composition, plus une partie de l'opinion locale s'est détournée du mouvement, sur des ressorts assez méprisants 220 » d'autre part.…”