« On va recevoir une femme enceinte traumatisée ! ». Qui n'a jamais eu le ventre noué lorsqu'est tombée cette annonce, dont le contenu menace de transformer la garde aux urgences en véritable cauchemar ?Le traumatisé ? Le médecin urgentiste sait le prendre en charge. Il a appris à le faire, et il en voit souvent. Les grandes urgences de la femme enceinte ? Il a également appris à les prendre en charge à leur phase toute initiale, et il en voit au cours de son exercice. Le problème survient lors de la conjonction des deux phénomènes et que la femme enceinte devient la victime d'un traumatisme. « Femme enceinte traumatisée », c'est presque un oxymore. Parce que la population des traumatisés est très majoritairement masculine. Parce qu'une femme enceinte fait attention à elle et a tendance à se protéger des situations à risque de traumatisme, lorsqu'elle le peut. Parce que tout être doté d'humanité porte une attention particulière aux femmes enceintes. Du coup, c'est -heureusement -rare et le médecin urgentiste verra peu de femmes enceintes traumatisées au cours de son exercice médical. Battaloglu et al. rapportent une incidence de 1 % de grossesses parmi les 15 140 patientes prises en charge pour traumatisme au Royaume-Uni entre 2009 et 2014 [1].L'angoisse que fait naître une telle annonce procède de multiples facteurs : la fragilité de l'être en développement, la peur des soignants de ne pas savoir faire, le contexte émo-tionnellement chargé, la rareté du tableau, laquelle compromet le développement de nos routines de prise en charge si rassurantes. La démarche diagnostique à mettre en oeuvre chez une femme enceinte traumatisée est pourtant assez claire [2], quoique insuffisamment suivie par crainte des effets des rayons X sur le foetus [3]. Après l'évaluation des conséquences du traumatisme sur la mère, vient le temps de l'évaluation des conséquences sur le foetus : sa vitalité, son rythme cardiaque, son placenta, le passage d'hématies foetales dans le sang maternel [4].Quel est le devenir de la grossesse de ces patientes traumatisés ? Pour répondre à cette question, Richard-Jourjon et al. ont réalisé une étude rétrospective monocentrique sur quatre ans au sein de la maternité de niveau III d'un CHU disposant d'un centre de traumatologie [5]. Les auteurs ont inclus les femmes enceintes consultant aux urgences de la maternité dans les suites d'un traumatisme. Leur objectif était de décrire la population de ces patientes, leur prise en charge et leur devenir obstétrical ainsi que d'identifier les facteurs associés à une hospitalisation ou une complication obstétricale. Bien qu'il s'agisse d'une étude rétrospective, toutes les patientes ont bénéficié d'une même stratégie diagnostique obstétricale. Cette dernière associant un monitorage par cardiotocographie évaluant le rythme cardiaque foetal et les contractions utérines, une échographie foetale évaluant la vitalité du foetus et un test de Kleihauer à la recherche d'hé-maties foetales dans la circulation maternelle.