Au-delà de ses spécificités thématiques ou partenariales, la revue Bois et Forêts des Tropiques poursuit une ambition qui est chère à son équipe éditoriale et à l’établissement qui l’héberge. Elle promeut la publication de résultats d’une recherche collaborative qui soit (i) produite avec des chercheurs du Sud, (ii) appliquée au développement du Sud, (iii) et donc accessible aux professionnels du Sud. Ce dénominateur commun tient de l’éthique du Cirad, dont l’acronyme nous rappelle qu’il s’agit bien de faire valoir une Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement. Voilà qui ne peut être sans lien avec l’attachement de notre revue au respect de l’intégrité scientifique, cette forme de conduite intègre et honnête appelée à présider dans toute activité scientifique, en tant que condition de la qualité de la connaissance produite.Nous gardons en effet l’ambition de promouvoir la reconnaissance internationale de la recherche conduite au Sud et, du mieux possible, par le Sud. Nous nous appliquons à aider de jeunes chercheurs du Sud, parfois peu expérimentés, à se familiariser avec l’exercice normatif et exigent de la publication scientifique. Les articles rédigés par des scientifiques dont le patronyme renvoie à un pays déshérité ont, nous le savons, moins de chances d’être lus, puis d’être cités par leurs pairs des pays mieux lotis (Harris et al., 2017). Notre revue est en outre tenue de surnager dans un océan hypercompétitif, où les logiques éditoriales, sous-tendues par des logiques commerciales, accordent peu de crédit aux revues scientifiques qui, contre vents et marées, s’attachent à faire valoir la reconnaissance des chercheurs démunis. En dépit de ces contraintes que nous estimons plutôt absurdes, nous ne perdons pas de vue nos attachements aux valeurs qui fondent notre établissement. Voilà pour notre éthique.Mais défendre une telle éthique, c’est aussi devoir défendre l’intégrité scientifique. Dans la logique d’excellence qui prévaut actuellement dans la communauté de recherche, selon les déterminants en cours des évolutions de carrière et selon les indices les plus conventionnels de l’évaluation de la recherche, exagérément quantitatifs, nous savons que les revues de recherche appliquée au développement ne sont pas les mieux considérées. Nous n’ignorons pas cependant que le Cirad est signataire de la convention Dora sur l’évaluation de la recherche, qui défend le principe de ne plus utiliser les métriques de revues, tel le facteur d’impact, pour mesurer la qualité des articles de recherche ou pour évaluer les contributions d’un chercheur à la production de connaissances. L’objet de Bois et Forêts des Tropiques n’est assurément pas, selon une logique comptable, d’enrichir et de faire fructifier un capital éditorial. Il est de diffuser des résultats de recherche susceptibles d’impacter favorablement le développement. Nous sommes fiers de disposer d’un facteur d’impact, mais nous ne nous leurrons pas sur les valeurs qu’un tel indice engage (Seglen, 1997).Nous restons profondément attachés à l’éthique collaborative qui est la raison d’être d’une revue scientifique du Cirad. La défense de cette éthique collaborative n’est, certes, pas toujours aisée. Les chercheurs du Nord comme du Sud, pressés par des injonctions sociales qui mériteraient d’être mieux analysées, se sentent voués à plus publier plutôt qu’à mieux publier, et cèdent alors parfois à des mirages malmenant leur propre intégrité scientifique. Les inconduites scientifiques sont devenues, nous n’en sommes pas dupes, une stratégie de survie au sein d’organismes de recherche de plus en plus sélectifs, voire de notoriété virtuelle, au Nord comme au Sud. Ne nous attardons pas sur de telles dérives qui, nous sommes bien placés pour le savoir, se multiplient année après année, sous des formes de plus en plus diverses : recours au plagiat, fabrication ou falsification de données, oubli ou ajout d’un auteur non consulté, signatures de complaisance, émiettement des publications, manipulations statistiques, filtrage des références bibliographiques, etc. Autant de raisons de refuser une partie des manuscrits qui nous parviennent, pour des raisons qui nous laissent alors plutôt amers, mais nous conduisent à nous montrer très fermes, car l’intégrité scientifique ne se discute pas (Corvol, 2016).Notre cap reste inchangé. Nous défendons le principe d’une revue gratuite, accessible à tous, préservée des logiques éditoriales de marché. Nous sommes fiers d’appartenir à un établissement qui ne mâche pas ses mots à l’égard des revues prédatrices qui se nourrissent des dérives de la recherche scientifique. Et nous sommes particulièrement heureux de constater que les chercheurs du Sud se mobilisent tout autant contre ces pratiques prédatrices désastreuses, aussi trompeuses que condamnables, auxquelles ils se savent particulièrement exposés, ainsi que le révèle cette étude cinglante, mais ô combien saine, de Matumba et al. (2019).Il y a plus vingt-cinq ans, le sociologue canadien Serge Larivée, auteur d’un rapport sur la fraude scientifique, avait déjà parfaitement entrevu les conséquences délétères d’une éthique scientifique négligente (Larivée et Baruffaldi, 1992) : « il s’en faudrait peut-être de peu, particulièrement en période de récession, pour que les payeurs de taxes, influencés par la couverture journalistique sensationnaliste de quelques cas célèbres, contestent la masse budgétaire impartie à la recherche scientifique dans tel ou tel domaine ou même dans son ensemble. » Voilà qui nous invite à veiller plus attentivement encore à ce qu’en conformité avec le mandat de notre établissement, et au respect d’une éthique que nous défendons activement, notre belle revue ciradienne demeure autant collaborative qu’intègre.