Innovations technologiques : techno-pessimistes et techno-optimistesEn 1938, neuf ans après le déclenchement de la crise économique la plus profonde jamais traversée par le système capitaliste, l'économiste d'Harvard, Alvin Harvey Hansen, alors conseiller du président américain Franklin D. Roosevelt, évoquait dans un ouvrage la possibilité que le monde soit entré dans une période de « stagnation séculaire » [1]. Les destructions massives de la seconde Guerre Mondiale et les nécessités de reconstruction qui en ont découlé, ainsi que les politiques keynésiennes de relance par l'investissement public (dont Hansen était lui-même un fervent partisan), ont eu raison de cette prédiction pessimiste. Fin 2013, cinq ans après le début de la crise financière qui s'est traduite par la deuxième récession la plus grave de l'histoire économique mondiale, un autre économiste d'Harvard, Lawrence Henry Summers, ancien conseiller des présidents américains B. Clinton et B. Obama, remettait au goût du jour ce concept de « stagnation séculaire », à l'occasion d'une adresse devant le Fonds monétaire international [2]. Le constat que la plupart des économies, notamment celles des pays les plus avancés, dont ceux de l'Union européenne, ne soient toujours pas parvenus à retrouver les rythmes de croissance d'avant la crise de 2008 en dépit de taux d'intérêt proches de zéro, de taux d'inflation très faibles, et que les signes de reprise semblent s'accompagner systématiquement de la résurgence de « bulles » financières, entretient un vif débat dans les cercles académiques sur la possibilité que le monde soit entré dans une longue période de ralentissement de la richesse produite par habitant [3]. Parmi les facteurs les plus âprement discutés pour expliquer la menace d'une stagnation économique sur une longue période, figurent au premier rang des prédictions opposées quant à l'impact des innovations technologiques. Pour certains « techno-pessimistes », comme Robert Gordon, de l'université Northwestern (Illinois), les « progrès rapides réalisés au cours des 250 dernières années pourraient bien représenter un épisode unique de l'histoire humaine » [4]. Selon cette thèse, à la différence des inventions de la deuxième révo-lution industrielle, qui court du milieu du XIX e siècle à celui du XX e (électricité, eau courante, transports automobile et aérien, téléphone, cinéma, télévision, équipement ménager, etc) qui ont permis la globalisation progressive des échanges et de la consommation de masse, les innovations actuelles (nouvelles technologies de l'information et de la communication, biotechnologies, énergies renouvelables, etc), en dépit des bouleversements profonds de la vie quotidienne qu'elles apportent, ne se traduiraient pas par d'importants gains de productivité ; ceci serait confirmé par la statistique selon laquelle la croissance de la productivité américaine dans les huit décennies ayant précédé l'année 1972 aurait été en moyenne supérieure d'environ 1 % par an en comparaison des quatre qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui [5]. Pour les...