L’assistance-chômage des jeunes sous condition d’accompagnement. De quelques mécanismes du non-recours par éviction

Abstract

L’article se propose d’expliciter, à partir d’une enquête sur le principal dispositif d’assistance-chômage pour les jeunes Français (le Fonds d’aide aux jeunes), certains facteurs organisationnels et professionnels du non-accès des jeunes à l’aide sociale. Une partie de la non-connaissance, de la non-réception et finalement de la non-demande de droits et de services par les jeunes découle en effet de la mise en oeuvre pratique d’une économie morale de l’accompagnement : la stratégie de défense de la dignité professionnelle des conseillers en missions locales, d’une part, et les normes de solidarité publique, d’autre part, conduisent à privilégier, dans l’accès à l’offre d’aide sociale, les jeunes construisant une relation pacifiée et de long terme avec les professionnels. L’existence d’une relation d’accompagnement apparaît alors comme une condition de proposition et d’octroi de l’aide financière.The aim of this paper is to make explicit certain organizational and professional factors that have the effect of disqualifying young people from social assistance, based on an investigation of the main unemployment relief program for French youth : the Fonds d’Aide aux Jeunes. Part of the reason why young people in France are not aware of, do not benefit from and do not assert their rights to services is the way a moral economy of support and guidance is implemented in practice : the strategy of defending the professional dignity of local youth counsellors, on the one hand, and the norms of public solidarity, on the other, mean that in facilitating access to social assistance, preference is given to youths who build peaceful, long-term relationships with professionals. The existence of a support and guidance relationship thus appears to be a prerequisite for the offering and awarding of financial assistance

Les magistrats face à l’ignorance de la Loi sur l’assurance-emploi – de la lutte contre la « fraude » et « l’insouciance » à la reconnaissance du non-recours aux prestations

“…En ce qui concerne spécifiquement les prestations à l'assurance-emploi, Sylvie Blasco et François Fontaine montrent qu'en France le phénomène dépend notamment du montant de l'indemnisation (plus celle-ci est élevée, plus les prestataires auront tendance à faire des demandes), de la qualité de l'information reçue en matière de règles d'éligibilité, mais également du soutien apporté aux chômeurs indemnisés (Blasco et Fontaine, 2010). En Belgique, comme en France, d'autres recherches insistent sur le poids des obstacles administratifs (Van Parys et Struyven, 2013) ou sur la « relation d'accompagnement » des jeunes chômeurs avec les services de l'assurance-emploi (Lima et Trombert, 2013).…”

Entretenir les possibles

“…L'embarras découlant du non-concernement des jeunes est, dans ce cas, davantage à lier aux ressources structurelles permettant aux praticiens de rejoindre les jeunes dans la communauté :« On essaie de faire du outreach 113 faque d'être dans la communauté donc où est-ce que c'est significatif pour eux, donc d'aller prendre un café avec eux si on est capable. Normalement un intervenant comme moi qui a 15, 16 patients, c'est ce qui est recommandé, mais on n'a pas le temps de faire ce genre de truc là, on en a 30, 35 patients par intervenant, là c'est plus difficile de faire du outreach donc il faut qu'on fasse avec les ressources qu'on a » (Ergothérapeute, Programme d'un centre hospitalier, Québec)Dès lors, les actions contre le non-concernement ou sa prévention, tel qu'on le comprend dans l'exemple proposé et bien plus largement, demandent avant tout des réflexions sur les moyens mis à disposition par les structures, sur leur disposition à laisser des marges de manoeuvre aux praticiens pour réaliser un tel travail(Lima et Trombert, 2013;Vial, 2016).112 113 « Appliqué au domaine de l'intervention sociale, l'outreach désigne un mode d'action associé aux interventions d'opérateurs qui cherchent à aller au-devant de populations restées à l'écart, au moyen d'interaction dans les milieux de vie marginaux -comme des personnes sans-abri ayant des problèmes de santé mentale ou bien des jeunes en rupture avec leur famille et avec les services d'aide à la jeunesse -que ces interactions soient ponctuelles ou durables -dans la droite ligne du settlement movement » (Baillergeau et Grymonprez, 2020, p.125). « aller à la rencontre » des jeunes là où ils se trouvent que cela soit à l'école, dans la rue, sur le lieu de travail ou encore à domicile n'est de loin pas pratiqué et favorisé dans l'ensemble des sites.…”