RésuméL’analyse proposée ici défend la nécessité d’opérer un déplacement vis-à-vis des termes qui semblent dominer pour l’heure la réflexion sur les nouvelles formes d’esclavage ou de servitude pour y intégrer pleinement les rapports sociaux de sexe en tant que rapports sociaux de production et d’exploitation. Dans cette perspective, à partir de deux études sur le terrain réalisées auprès des travailleuses domestiques et des travailleurs agricoles soumis aux programmes canadiens d’immigration, il s’agit de chercher à voir comment les rapports de travail qui sont rassemblés sous les concepts « d’esclavage moderne » et de « travail non libre » produisent non seulement une classe de travailleurs exclue du salariat canonique, mais aussi et simultanément une main-d’œuvre racisée, intrinsèquement sexuée : des « non-ressortissants » qui sont aussi des hommes et des femmes dont les corps sont différemment mis au travail, exploités et marqués.
Depuis son entrée en fonction en 1980, la Régie du logement du Québec — le tribunal en charge du contentieux entre propriétaires et locataires — reçoit entre 30 000 et 50 000 demandes d’expulsions pour arriérés de loyer par année. Ces recours représentent entre 45 % et 62 % de l’ensemble du contentieux traité par la Régie, selon les années considérées. Dans une province de huit millions d’habitant(e)s, dont 40 % sont locataires, il s’agit d’un « contentieux de masse ». À partir d’une étude de la législation, de la jurisprudence et d’une enquête de terrain à la Régie, les auteurs s’interrogent sur le droit en vigueur et la procédure relative aux deux cas précis autorisant l’expulsion pour des arriérés de loyer : le retard de plus de trois semaines et les retards fréquents. Ils décrivent une procédure expéditive notamment parce que le pouvoir discrétionnaire des magistrats pour tenir compte des obligations contractuelles des locateurs, de la proportionnalité de la décision, du témoignage et du préjudice des locataires est marginal. Il s’agit ainsi d’un contentieux largement « sans espoir », lors duquel les causes du non-paiement et les conséquences humaines et sociales de l’expulsion sont écartées. Les auteurs défendent alors l’hypothèse que ces éléments contribuent à miner la confiance des justiciables envers le système judiciaire et participent à expliquer l’absentéisme des locataires aux audiences, tout comme le taux extrêmement faible de la représentation par avocat. Dans cette perspective, ils invitent à remettre en question le droit en vigueur et sa conformité avec les règles de droit international au premier rang desquelles, le droit au logement.Since it began operating in 1980, the Régie du logement du Québec—the tribunal responsible for disputes arising between landlords and tenants—hears anywhere between 30,000 and 50,000 applications regarding unpaid rent each year. These actions represent between 45% and 62% of all matters heard by the Régie in the material time for this study. In a province of eight million inhabitants, 40% of which are tenants, this constitutes “mass litigation”. Through a study of relevant legislation, jurisprudence, and the results of fieldwork at the Régie, the authors question the law and procedure relating to two specific justifications for evicting tenants: rent payments more than three weeks overdue and frequent late payments. This study reveals an expedited process largely attributable to the minimal discretionary power commissioners have in considering tenants’ contractual obligations, the proportionality of the decision, tenants’ testimony, and the prejudice they sustain. This litigation is therefore one “without hope”, in the course of which the causes of nonpayment and the human and social consequences of eviction are cast aside. The authors thus defend the thesis that these elements contribute to the public’s deteriorating confidence in the judicial system and partly explain tenants’ absenteeism at Régie hearings as well as the extremely low representation rate. From this...
À partir de l’exemple du contentieux locatif des habitations à loyer modique (HLM) du Nunavik, les auteurs défendent l’hypothèse que le parallélisme entre la judiciarisation des locataires, d’une part, et le non-recours aux droits de ces mêmes locataires, d’autre part, révèle une instrumentalisation du contentieux par les pouvoirs publics et un détournement des fonctions de la Régie du logement. Concrètement, la Régie rend annuellement, à la demande de l’administration québécoise, des centaines de jugements ordonnant, dans une région polaire, l’expulsion de milliers de locataires. Ces derniers, qui sont logés depuis des dizaines d’années par l’État québécois dans des logements insalubres et surpeuplés, n’ont en revanche jamais recours au système judiciaire pour faire valoir leurs droits. Le droit du logement est ainsi systématiquement et méthodiquement détourné par les pouvoirs publics. En lieu et place de protéger les droits des locataires et de réguler l’activité de l’administration, le système judiciaire agit alors principalement comme auxiliaire des pouvoirs publics.Using litigation relating to low-rental housing in Nunavik as an example, the authors defend the hypothesis that the parallel between legal action against tenants and the failure to uphold those tenants’rights reflects an instrumentalist approach to litigation by the public authorities and a distortion of the functions of the Régie du logement. Every year, at the request of Québec’s public authorities, the Régie issues hundreds of rulings ordering thousands of polar region tenants to be expelled from their homes. In contrast, those tenants, housed for decades by the Québec State in dirty, overcrowded dwellings, have never used the legal system to uphold their rights. As a result, the right to housing has been systematically and methodically misappropriated by the public authorities. Instead of protecting tenants’ rights and regulating the authorities’ activities, the legal system serves mainly as an auxiliary of the public powers.Partiendo del ejemplo en el área contenciosa de arrendamiento de viviendas de alquiler a precios módicos de Nunavik, los autores defienden, por un lado, la hipótesis del paralelismo existente entre la judicialización de los inquilinos, y por otro, que no se recurran los derechos de dichos inquilinos. Esto revela una instrumentalización del contencioso por parte de los poderes públicos, así como una desviación de las funciones de la Régie du logement (dirección general de arrendamientos). Específicamente, la Régie du logement decreta anualmente, a petición de la administración quebequense, centenares de decisiones en una región polar en las que se ordena la expulsión de miles de inquilinos. Estos últimos, que han sido alojados desde hace décadas por el Estado quebequense en viviendas insalubres y hacinadas, nunca han tenido a cambio el acceso al sistema judicial para hacer valer sus derechos. De esta forma, se desvía de manera metódica y sistemáticamente el derecho de arrendamiento por parte de los poderes públicos. En vez...
Cet article interroge la portée du droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en matière de protection des travailleurs dépendants qui sont de facto assignés à des formes de travail non libre. L’analyse est centrée sur l’obligation de résidence en tant que mécanisme particulier de privation de liberté. Les auteurs avancent que si, selon la jurisprudence constante de la Cour suprême, le droit à la liberté de sa personne ne protège pas le droit au travail ou le droit à l’emploi, il n’exclut pas certaines dispositions du droit du travail (la réglementation des rapports entre employés et employeurs) de son champ de protection. Dans cette perspective, le droit notamment de ne pas être soumis au travail forcé, de pouvoir quitter un emploi et un employeur, de ne pas vivre chez son employeur et d’être payé pour toutes les heures travaillées pourrait être protégé par les garanties offertes par l’article 7 de la Charte. L’obligation de résider chez l’employeur, qui s’impose actuellement de facto aux travailleurs agricoles et travailleuses domestiques, pourrait alors être contestée sur le fondement du droit à la liberté.
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