Si l’on s’en tient à ce qu’écrivent les manuels et la presse professionnelle, diffuser de l’information aux salariés est une bonne pratique, de nature à améliorer les performances de l’entreprise concernée. Ce point de vue semble généralement accepté, sans qu’une vérification empirique apparaisse nécessaire à ceux qui l’expriment. Si, en revanche, nous observons les pratiques de trois grandes entreprises sidérurgiques sur la période 1945-1982, nous constatons que la diffusion de cette information pose un dilemme aux managers. Nos observations montrent en effet que dans l’immense majorité des cas, ces derniers agissent comme si cette information aux salariés était superflue, voire nuisible à l’efficacité de leur action. Il arrive néanmoins que dans quelques rares cas, ils diffusent de l’information aux salariés, mais de façon opportuniste. Pour élucider ce paradoxe apparent et lui donner une réponse théorique, nous avons utilisé le concept de doxa tel que Bourdieu le présente et l’utilise, c’est-à-dire une affirmation communément admise sans discussion ni examen. Selon cet auteur, chaque champ (ici celui des relations industrielles) possède sa doxa (ses idées reçues) et cette dernière a deux fonctions : d’une part elle permet de maintenir la possibilité d’une communication continue entre le management et les salariés ou leurs représentants ; et c’est pourquoi il est dans l’intérêt des uns et des autres d’y croire, au moins officiellement. D’autre part elle permet une forme de domination managériale, et c’est pourquoi les managers et la presse professionnelle continuent de la promouvoir.