Une mosquée en Martinique Lorsqu'on quitte le centre de Fort-de-France en direction du nord verdoyant de la Martinique, on peut apercevoir, en bord de route, un vaste bâtiment en construction, de style oriental, avec arches, coupole et minaret. Ignorée des uns, servant à d'autres de simple point de repère spatial, ou considérée comme une curiosité, cette future mosquée a également focalisé bien des débats et des polémiques encore vivaces dans une île qui est toujours, selon les mots d'un musulman, « le pays des catholiques ». Mais c'est au sein même du groupe musulman qu'elle a donné lieu à force discussions et dissensions. Ce groupe s'est forgé progressivement à partir des années soixante-dix, date avant laquelle, en Martinique, l'islam était invisible. Il n'était pratiqué que par quelques familles palestiniennes et se réduisait souvent à certains gestes dans un cadre familial. Puis sont arrivés dans l'île des Africains de l'Ouest, à l'imprégnation musulmane beaucoup plus forte, mais qui ne se manifestait, elle aussi, que dans un cadre privé. Ces familles et ces hommes, en nombre infime, n'étaient pas identifiés comme musulmans par la population martiniquaise, ne se revendiquaient pas comme tels. Cette situation va se modifier, à la fin de la décennie soixante-dix, avec l'arrivée d'une personnalité charismatique qui a immédiatement eu pour objectif de développer l'islam et d'organiser dans l'île un espace musulman, projet repris par d'autres et dont l'un des aboutissements est aujourd'hui la mosquée encore inachevée. L'histoire de cette fondation et l'analyse de ses étapes éclairent la complexité de l'islam dans une île multiculturelle régie par la loi de 1905 sur la laïcité. Création d'un espace musulman Dans les années soixante-dix, la crise de l'industrie sucrière fait affluer vers les quartiers urbains déjà surchargés de Fort-de-France un prolétariat rural sans travail. Cette urbanisation s'accompagne de l'effritement des repères traditionnels (tels les relations d'entraide, le « coup de main »). C'est l'époque de la remise en cause de la départementalisation de l'île, acquise en 1946, et de la contestation du discours assimilationniste visant à niveler la Martinique aux