Si l'on considère l'abondance et la diversité des travaux qui, dans le champ des sciences du langage, se proposent d'éclairer le fonctionnement de l'argumentation -que ce phénomène soit localisé au niveau de la langue, du texte, du discours ou de l'interaction -, on admettra sans doute aisément que la notion même d'« argumentation » est polysémique. Les diverses approches octroient, de manière explicite ou implicite, un sens particulier à cette notion, en fonction des données langagières étudiées et des objectifs théoriques poursuivis. Une telle situation s'accompagne, pour le chercheur, de l'exigence méthodologique suivante, bien résumée par Marianne Doury : « L'éclatement disciplinaire et théorique des recherches en argumentation impose de préciser, avant toute analyse, à quelle conception de l'argumentation on se réfère » (2003 : 11). Nous menons depuis plusieurs années, à titre individuel ou collectif, des recherches empiriques sur le fonctionnement de l'argumentation dans divers genres du discours politique, et cela à partir de données langagières variées (de l'oral polygéré type « débat » à l'écrit monogéré type « article de presse » en passant par l'oral monogéré type « allocution ») 1 . Ces travaux nous ont progressivement conduits à tenter d'expliciter et de systématiser une conception de l'argumentation, dont nous voudrions idéalement qu'elle allie la rigueur théorique (en ce qu'elle prend la peine d'expliciter ses décisions conceptuelles et de les référer, le cas échéant, aux travaux d'autres chercheurs) et l'adéquation empirique (en ce qu'elle permet d'outiller la description de pratiques langagières variées). L'enjeu du présent article est de formuler, de justifier et de mettre en discussion cette conception de l'argumentation : comme nous tenterons de le montrer, l'originalité de celle-ci tient à ce qu'elle se situe à la croisée de la linguistique textuelle, de l'analyse du discours et de l'analyse des interactions, et qu'elle vise à intégrer de façon cohérente des savoirs relatifs à ces trois domaines connexes 2 .Les diverses théorisations de l'argumentation dans le cadre des sciences du langage francophones tendent, très schématiquement, à se concentrer sur deux composants majeurs, que nous appellerons -par souci de clarification du débat 3 -les composants textuel et discursif-interactionnel. Sans prétendre faire un « état de l'art » détaillé, on peut ici, sur la base de quelques travaux qui revendiquent explicitement le fait de contribuer à une théorie de l'argumentation (et pas seulement à des analyses ponctuelles de phénomènes argumentatifs), esquisser la manière dont ces composants sont envisagés. Mettre l'accent sur le composant textuel, c'est faire l'hypothèse que l'argumentation est d'abord reconnaissable -par les locuteurs ordinaires comme par le chercheur -grâce au mode spécifique d'agencement des énoncés qu'elle engage dans la matérialité d'un texte. On pense ici aux travaux qui, dans le cadre de la linguistique textuelle, décrivent les formes de séquentialité qu'implique l'argumentatio...