PrésentationAborder la littérature pour la jeunesse et sa traduction par le biais du thème des sens permet d'approcher un peu la variété et la complexité de cet objet fuyant, aux frontières floues, qu'est cette littérature, un « territoire qui se déplace au gré des représentations que les adultes se font, non pas simplement des jeunes lecteurs, mais également des ouvrages qui doivent leur être proposés » (Nières-Chevrel, 2005 : 10). À travers les études réunies dans ce volume, qui portent sur des textes s'adressant à des catégories d'âge allant des tout-petits aux jeunes adultes, de l'album au récit adapté pour le grand ou le petit écran, en passant par le roman, le théâtre, la BD (y compris le manga), se dégage un élément d'unité : ces textes relevant de la seule littérature qui se définisse par son lectorat, la question du destinataire et de sa spécificité est doublement essentielle lorsqu'il s'agit de les traduire. Puisque ce corpus repose sur un paradoxe fondateurun auteur adulte tentant de retrouver, ou d'approcher au plus près, le point de vue enfantin définitivement perdu - (Douglas, 2007 : 72-84), traduire ne fait que redoubler l'inextricable équilibre qui caractérise cette relation adulte/enfant « asymétrique », selon le terme d'Emer O'Sullivan 1 .Ainsi, la réflexion théorique sur la prise en compte de la spécificité de l'enfant-lecteur se prête bien à une lecture fonctionnaliste des traductions par le biais du skopos qu'implique l'intentionnalité des textes pour la jeunesse, notion mise en avant par Isabelle Collombat et Virginie Buhl. Et pourtant, pour cette dernière, il n'est pas toujours aisé de distinguer une finalité dénuée de toute ambiguïté au sein du fragile équilibre qui régit les liens entre le jeune lecteur d'une part, l'auteur, le traducteur, l'éditeur adultes du livre pour enfants d'autre part. Ce lien asymétrique adulte/enfant qui se manifeste au coeur de la traduction -comme de l'écriture -pour la jeunesse s'exprime aussi en termes d'une (re)construction de l'enfance par le biais d'un pseudo-langage enfantin, comme dans le travail inventif de la traductrice Françoise Morvan décrit par Ludivine Bouton-Kelly.L'inégalité qui caractérise la position de l'enfant-lecteur augmente encore lors du processus de traduction. Si l'on interprète le mot sens, autour duquel s'articule le présent volume, en tant que « signification », il va de soi que la traduction, plus encore que l'oeuvre originale, doit tenir compte du fait que l'enfant, en raison de son jeune âge (surtout s'il n'est pas encore lecteur), n'est pas au terme de son développement cognitif. De plus, sauf lorsqu'il est en situation de bilinguisme/plurilinguisme, il a encore moins accès que l'adulte aux langues et aux cultures étrangères, raison pour laquelle la traduction est indispensable -et a été historiquement fondatrice 2 -en littérature 1. Emer O'Sullivan parle de « communication asymétrique » (asymmetrical communication) dans Comparative Children 's Literature (2000 : 14). 2. La traduction a joué un rôle fondateur dans l'émergence d...