Il se développe depuis quelques décennies des théories linguistiques qui repensent la relation signifiant / signifié au prisme de la cognition incarnée : le signifiant lexical et grammatical est gestuel, et le signifié l’est également, en relation avec la « perçaction » de Berthoz (implication du rôle moteur du corps dans la production d’impressions du monde). Cette redéfinition du rapport signifiant / signifié, caractéristique de diverses approches (submorphémies, linguistique énactive), inaugure le champ d’une phonosémantique doublement incarnée, et énactive, capable de parler de « l’inscription corporelle de l’esprit ». Toutefois, ces approches ne semblent pas disposer, pour l’heure, de modèles de représentations phonologiques métalinguistiques et cognitifs adéquats pour servir leur propos : la phonologie vise à produire des représentations abstraites des sons des langues et hésite à intégrer la dimension motrice ; la phonétique se concentre sur les sons de la parole dans ses rapports à la production et à la perception sans viser à caractériser la corporalité structurale de langue à l’origine des dynamiques phonosémantiques. Dans la présente étude, on porte un regard sur le débat autour de l’incarnation en phonologie et en phonétique, et on esquisse une première série de propositions en vue du développement d’une phonologie incarnée, utile à la modélisation technique des questions de phonosémantique dans un cadre énactif.