Longtemps, l'analyse des risques s'est appuyée sur le précepte de Paracelse, « c'est la dose qui fait le poison ». L'intérêt de ce paradigme était de donner au gestionnaire la possibilité de définir des seuils de risques acceptables, de concilier usage de produits dangereux et prévention des risques. Comment faire lorsque les effets adverses ne suivent pas ce précepte mais dépendent de nombreux facteurs, fenêtres d'exposition, vulnérabilités individuelles, etc. ? La question est aujourd'hui sur l'agenda avec -notamment -le problème des perturbateurs endocriniens qui bouscule la toxicologie réglementaire. Le texte qui va suivre montre que sur un sujet réputé technique, les recherches en sciences sociales peuvent conduire à poser le problème en des termes nouveaux. Ainsi, les auteurs soutiennent que la véritable question n'est pas celle du changement de paradigme mais celle de l'éventuelle coexistence de plusieurs paradigmes dans un même régime réglementaire.
La RédactionRésumé -La question des faibles doses a déjà une histoire longue, très liée dans un premier temps à la radioactivité, et peut être retracée à travers toute une série de controverses métrologiques à propos de l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux. En prenant appui sur les évolutions récentes suscitées par la prise en compte de plus en plus saillante des perturbateurs endocriniens, l'article propose une exploration des différentes logiques épistémiques à l'oeuvre dans les milieux de recherche et d'expertise mobilisés autour des faibles doses. À partir d'une analyse documentaire, d'observations participatives de groupes d'experts et d'une série d'entretiens, il examine les appuis cognitifs et techniques utilisés par les acteurs, et les conditions pragmatiques de ce qu'une partie d'entre eux appelle un « changement de paradigme », conduisant à la redéfinition des concepts et des outils de la toxicologie au XXI e siècle.Abstract -At the frontier of health safety: metrological controversies on low doses and endocrine disruptors. The issue of low doses has a long history, initially stemming from radioactivity. It can be followed up through a series of metrological controversies about risk assessment on environmental health issues. Building on recent developments of public policy around the hazards linked to endocrine disruptors, this paper offers an exploration of different epistemic logics shaping research and expertise circles involved in low doses issues. Relying on a literature review, participative observation and a series of interviews with experts, this paper examines cognitive and technical supports used by the experts, and strives to depict the pragmatic conditions of a so-called "paradigm shift", purported to reshape the key concepts and tools of toxicology for the 21 th century.