Dans cet article, nous nous interrogeons sur un aspect des débats qui ont eu cours lors de la légalisation du cannabis au Canada, soit la distinction entre les consommateurs autorisés de cannabis à des fins médicales et les consommateurs que plusieurs intervenants des débats ont qualifié d’usagers « récréatifs » ou « non médicaux ». L’objectif est de comprendre comment la séparation des consommateurs de cannabis en deux catégories distinctes avant ces débats a influencé la manière de concevoir les problèmes à résoudre dans ce processus législatif (lois et réglementations fédérales, provinciales, territoriales et municipales) et les solutions proposées. Nous aborderons d’abord l’origine de cette division factice entre deux catégories de consommateurs, l’une dont les usages sont légitimes, l’autre dont les usages demeurent suspects, car l’accès au cannabis à des fins thérapeutiques s’est fait dans une période où les autres usages demeuraient prohibés. Par la suite, nous verrons comment cette distinction a d’une part rendu aveugle les intervenants de ces débats aux effets de l’industrie du cannabis sur le marché qui allait se développer et, d’autre part, comment elle a fait en sorte que l’objectif et les stratégies des politiques sur le tabac furent privilégiés à l’égard de ces consommateurs. Nous verrons notamment qu’au niveau fédéral, la légalisation relative au cannabis fut présentée comme une manière de contrôler autrement cet usage afin de le diminuer au maximum et qu’au niveau des provinces, des territoires et des municipalités, des interdits de consommation du cannabis fumé se sont répandus dans un grand nombre de lieux publics. Dans le même temps, des politiques demandaient d’accommoder adéquatement les consommateurs autorisés de cannabis à des fins médicales dans les milieux de travail et les institutions et s’assuraient que les sanctions en matière de cannabis au volant ne soient pas abusives à leur égard.