Dans un conseil de quartier (shorâ yâri) du nord de Téhéran, à la fin d'une réunion, Amir, le président du conseil, déclare ne pas vouloir se représenter aux nouvelles élections internes qui doivent avoir lieu dans une semaine. Il évoque, d'une voix lasse, ses problèmes de santé et les avertissements de sa famille. Mais personne ne se propose pour se présenter à sa place. Commence alors une longue discussion entre les conseillers présents. Ils font un tour de table et tous déclinent l'un après l'autre : Davoud en raison de « problèmes professionnels qu'il doit régler en priorité », Ava en raison de son « inexpérience »… Davoud prend le parti d'Amir pour trouver une solution : « nous ne devrions pas le forcer à être président ». Il énumère à sa place toutes les difficultés et pressions qu'il subit en tant que président. La réunion se termine sur l'absence de décision. La semaine suivante, dès le début de la réunion, Amir distribue les invitations pour se rendre au conseil de ville le lendemain pour les élections internes du shorâ yâri. Il leur explique le déroulement de la journée et insiste, comme la semaine précédente, pour que tout le monde soit présent y compris les suppléants, « pour montrer l'unité du shorâ yâri ». […]. Amir semble très fatigué et le visage légèrement crispé ajoute : « j'ai travaillé pendant quatre ans ici, j'en suis arrivé à un point où cela me coûte, au sens premier du terme. Si vous votez pour moi demain, je démissionnerai sur le champ, mais je ne veux pas non plus qu'on montre que l'on est en désaccord les uns avec les autres. C'est vrai que la mairie me dit que si je reste, les projets du quartier avanceront plus vite… Ce n'est pas correct [de faire ça] ! […] ». Les échanges entre conseillers sur la préparation des élections du lendemain continuent ainsi pendant deux heures. Amir maintient toute la réunion une posture contrite et parle d'une voix lasse. Il met souvent la main sur le coeur et baisse les yeux lorsqu'un conseiller le complimente. Aucun des conseillers ne lève la voix ou ne parle sur un ton énervé. Personne ne se propose pour le poste de président du conseil. Finalement, un conseiller, repris dans la foulée par d'autres, conclut qu'Amir sera président. Celui-ci ne dit rien, prend un air contrit et résigné. Personne ne conteste cette décision. Davoud lance une salutation au prophète (salavât) pour marquer l'accord. (Extrait du journal de terrain, 2010). 1. Créés à Téhéran par le conseil de ville à la fin des années 1990, les conseils de quartier (shorâ yâri) sont définis comme « non gouvernementaux, décentralisés, apolitiques, volontaires et de participation ». Ils ont un rôle strictement consultatif et pour principale mission d'instaurer une « collaboration réelle, durable et permanente » avec les citoyens sur les questions de développement local, de « faire lien » entre les habitants et les institutions municipales (conseil de ville et mairies) et de collaborer à l'implémentation dans les quartiers des politiques publiques locales (Statut des associations shorâ yâri, Conse...