La Corée colonisée (1905‑1945) vit se déployer sous l’égide du Japon des savoirs visant à la compréhension de la société de la « péninsule », dans un objectif à la fois académique mais aussi de légitimation du pouvoir japonais. Au sein de ce dispositif, la question de la saisie, de la compréhension et du classement des corps – qui avait d’abord constitué une obsession nationale au Japon comme en Europe – s’imposa comme l’une des grandes préoccupations des savants coloniaux. Ainsi les trois chaires d’anatomie de l’université impériale de Keijō (Seoul), fondée en 1924, incluaient-elles deux chaires d’anthropologie physique, une configuration inédite au sein des universités d’État japonaises. Ses responsables s’efforcèrent de démontrer la validité de la théorie des « origines communes entre Japonais et Coréens » au moyen de la biologie, théorie qui avait servi depuis 1910 à légitimer l’annexion par une « proximité de race » entre conquérants et conquis. Cependant, l’entre-deux-guerres allait voir la montée d’un discours ethniciste porté par le nouveau courant eugéniste, qui s’opposait à tout rapprochement entre le « peuple japonais » saisi comme pur et les populations colonisées. La seconde moitié des années 1930 et la période de guerre virent un affrontement entre deux visions opposées du Japon, entre empire ou peuple réethnicisé.