VariationsLe mot d'abord. Au début fut le verbe francfortois, explosif, de la dynamite. L'industrie de la culture, ou Kulturindustrie. Plus qu'un mot, il s'agit d'un concept d'un genre nouveau. Sa force critique embrasse pour la première fois des observations empiriques qui touchent à la sociologie et la psychologie de masse, elle actualise la pulsation héritée de la philosophie dialectique, propose une vue internationale et un engagement personnel des chercheurs qui ne se laisse pas neutraliser par les discours scolaires ou positivistes. Le capitalisme global, les bureaucraties d'Etat, leurs idéologies de progrès, les mass média, les formes esthétiques standardisées, sont soumis à une critique dont le versant politique est aussi vif que la charge intellectuelle. Rien ne résiste à ce regard pénétrant, ni les mass médias, la téléréalité, ni la recherche positiviste, ni Facebook, ni Youtube, ni l'audiovisuel public, ni le marché de l'art.
Au début fut le concept 2Le présent texte va montrer que l'industrie de la culture est le concept-clé d'une recherche sociale, toujours actuelle, qui, du vivant d'Adorno, est directement intervenue dans la constitution des sciences de la communication américaine, puis française, avant de se déployer à l'échelle planétaire, en réplique à la mondialisation capitaliste. Nous partirons des origines conceptuelles et historiques de l'industrie de la culture, avant de voir son déploiement à travers des générations de chercheuses et de chercheurs, avant de la retrouver en action dans les formes contemporaines de la téléréalité, des réseaux sociaux, des discours préfabriqués, dans les clips et dans la propagande. Kulturindustrie : l'industrie de la culture. Une traduction qui dit industrie culturelle circule aussi, elle se comprend, mais l'industrie dont il s'agit n'est pas culturelle. Bien au contraire, elle marchande la culture que d'autres ont crée. Si Adorno et Horkheimer avaient voulu parler d'une industrie culturelle, ils auraient pu la nommer kulturelle Industrie et non Kulturindustrie, alors que leurs textes anglais ne parlent jamais de cultural Kulturindustrie : l'industrie de la culture en tant que modèle critique Variations, 21 | 2018 1 industries, mais bien de Culture Industry. 1 A la suite de Garnham, Bouquillon et Matthews ont précisé que l'usage du terme anglophone creative industries est une émanation directe des théoriciens anglais du New Labour, autrement dit d'un jargon néolibéral qui écarte l'approche de la Théorie critique 2 . Frédéric Martel, qui se passionne pour les boites de production, récuse ainsi le concept d'industrie de la culture, au profit de ces industries créatives qui porteraient si bien leur nom, puisqu'elles seraient justement...créatives, dans une belle tautologie 3 . La preuve que l'auteur nous présente est l'entreprise Disney, qui reproduit la tête de Mickey depuis 1928, cette figurine rongeuse qui s'agite dans des espaces balisés, figure dont Walter Benjamin disait qu'elle symbolise un monde administré, un monde où ce n'est plus la peine de faire d...