Considérant d’une part le décalage entre le temps politique et les processus mémoriels, et d’autre part la remise en question des rapports entre les politiques officielles de la mémoire et les représentations ordinaires du passé, cet article analysera l’émergence ou non dans la société allemande d’une mémoire des Heimat perdues. Il s’agit d’un type de mémoire qui est propice aux échanges avec les voisins, favorise la compréhension mutuelle et contribue à la réappropriation d’un passé partagé, conduisant ainsi à un regard plus favorable vers un avenir européen commun. Basé sur un corpus d’oeuvres littéraires contemporaines traitant des voyages patrimoniaux dans les territoires d’où les Allemands ont été expulsés après la Seconde Guerre mondiale, cet article vise à étudier les récits de traversée des frontières et de (re)découverte de la Heimat perdue à l’Est. Il propose d’examiner les représentations de l’espace véhiculées par ces récits, et leur rapport aux récits plus anciens tels que ceux de fuite et d’expulsion. L’hypothèse qui se dégage de cet article est que, malgré une histoire partagée de violence, la confrontation active d’une Heimat perdue avec la réalité d’aujourd’hui renforce la capacité de surmonter une construction auto-centrée de la mémoire et des souffrances endurées par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, il devient possible de reconsidérer la complexité des événements et d’aller au-delà d’une vérité régionale limitée, en les inscrivant ainsi dans un cadre historique plus large.