Résumé Définies comme une association individuelle et récurrente de l’image mentale d’une couleur à la perception d’un son, l’audition colorée, puis les perceptions sensorielles nommées synesthésies à partir des années 1890, ont connu un important retentissement à la fois dans le domaine des arts et des sciences pendant le dernier quart du dix-neuvième siècle. À l’ère médiatique, les chroniques, critiques d’art, critiques littéraires ou théâtrales, essais de vulgarisation, textes de fiction mais aussi les caricatures abordant cette modalité de la perception sensorielle se multiplient dans la presse quotidienne et spécialisée, mais aussi dans les journaux de mode et dans la presse satirique. Dialoguant souvent entre eux, ces textes et ces dessins constituent un corpus témoignant de la réception internationale des arts et des sciences des synesthésie. Les articles de presse rendent ainsi compte avant tout d’un vif intérêt pour les synesthésies, qui s’imposent comme un sujet de société suscitant parfois de l’exaspération ou de l’enthousiasme, mais le plus souvent de la curiosité et de la perplexité. Trois postures principales se détachent dans la réception critique des oeuvres d’art synesthésiques ou polysensorielles : le doute quant à la réalité de ces perceptions qui s’exprime en dépit de la caution scientifique dont les synesthésies bénéficient, l’enthousiasme que suscite l’idée de nouvelles perceptions susceptibles de transformer le rapport à l’art et au monde et, enfin, l’idée que ces perceptions témoignent d’une dégénérescence de l’art et des hommes. Il s’agit d’observer comment ces questions si fondamentales pour l’histoire de l’appréciation esthétique ont été présentées au public large et diversifié des lecteurs et lectrices de la presse fin-de-siècle afin de mettre en évidence les conceptions et jugements associés aux synesthésies ainsi que les liens endogènes tissés entre perception sensorielle, progrès et décadence. Cela permet de mieux saisir les enjeux de l’enthousiasme et des résistances suscitées par la remise en cause des hiérarchies qui gouvernaient l’histoire des sens et celle des arts.