Durant la crise alimentaire de 2007, l'indice des prix alimentaires de la Banque Mondiale a été multiplié par 2.5. En vue d'améliorer la sécurité alimentaire dans les pays en développement, la FAO, la Banque Mondiale et plusieurs Etats africains ont recentré leurs interventions sur les filières domestiques. Ces Etats, dont le Sénégal, cherchent à devenir « autosuffisants ». Les politiques publiques cherchent à augmenter la production, en soutenant une agriculture entrepreneuriale. Elles appuient l'aménagement de superficies irriguées et mettent en place des crédits et subventions aux intrants de synthèse (Lançon and Mendez del Villar, 2013). Elles encouragent aussi des entreprises étrangères à réaliser de grands investissements dans la production et la transformation agroalimentaire. Ces entreprises prennent le contrôle hiérarchique de la production ou mettent en place des contrats (Soullier, 2017; Hathie, 2016). Ces investissements sont réalisés sur des territoires où l'agriculture familiale domine. Ils peuvent avoir des effets sur la gestion des ressources agricoles et la performance des petits producteurs. Néanmoins, les politiques et travaux de recherche actuels se concentrent plutôt sur la capacité des filières domestiques à satisfaire les besoins alimentaires des consommateurs urbains (Hathie, 2016). Nous cherchons dans cet article à contribuer à la compréhension de deux phénomènes : (1) Comment des investissements d'agrobusiness (AB) dans la production et la transformation influencent la participation des petits producteurs à la gestion des ressources agricoles du territoire ? (2) Quels sont les effets des changements de l'organisation des filières et des territoires sur la performance des petits producteurs ? Nous proposons de répondre à ces questions par l'étude d'investissements dans le delta de la vallée du fleuve Sénégal, où le changement d'organisation des filières semble affecter les petits producteurs en termes d'accès au foncier, de revenus, de sécurité alimentaire et de pratiques agricoles (Soullier and Moustier, 2015, 2018). 2. Cadre conceptuel : gouvernance des chaînes de valeur et gouvernance territoriale Les agriculteurs familiaux 1 sont caractérisés par la gestion familiale du capital, du travail et de la production, ainsi que la présence d'autoconsommation et un statut juridique parfois informel. Ils peuvent participer à une chaîne de valeur traditionnelle, qui est composée de plusieurs intermédiaires faiblement dotés en capital, ou à une chaîne de valeur moderne, qui comprend des AB. Ces AB sont des entreprises privées, 1 Dans cet article, nous utilisons indifféremment les termes « petit producteur » et « agriculteur familial » car les agriculteurs familiaux sont caractérisés par une petite taille d'exploitation (moins de 5ha).