Entre 1924 et 1935, le Code pénal soviétique condamne des pratiques matrimoniales, régulières dans le droit coutumier et musulman d’Asie centrale. La criminalisation de ces pratiques ouvre un conflit social d’ampleur opposant des acteurs aux visions incompatibles du droit et de la modernité et questionnant la légitimité de l’État à intervenir dans le champ matrimonial. À partir d’archives de procès, l’article analyse le processus de socialisation des justiciables à ce droit pénal. Informés par les dispositifs d’éducation populaire des juges et des activistes politiques, les justiciables contournent le droit pour échapper à la répression ; d’autres saisissent le juge pour s’opposer aux coutumes ou instrumentalisent le recours judiciaire afin d’asseoir leurs intérêts lors de transactions matrimoniales. Ce décalage entre le pays légal et le pays réel souligne la relative fluidité des pratiques judiciaires à l’échelle des cours locales. Les juges offrent alternativement une ressource aux justiciables ou s’illustrent par des décisions s’accommodant aux exigences déterminées par le politique.