Le jeûne extrême de certains ascètes chrétiens, appelé aussi sainte anorexie a retenu l'attention des historiens comme celle des psychologues dans les dernières décennies 1. L'anorexie sainte est une forme particulière d'anorexie qui est dominée par la recherche de la sainteté chrétienne à travers une maîtrise du corps qui passe par le refus des aliments. Elle concerne surtout des femmes qui cessent progressivement de s'alimenter, jusqu'à ne plus se nourrir que d'eucharistie dans certains cas. Quelques-unes, comme Catherine de Sienne, finissent par en mourir, d'autres guérissent et se réalimentent. L' a n o rex i e s a i n te e s t u n e f o r m e p a r t i c u l i è re d e l ' a n o rex i e m e n t a l e. Com m e l e s jeunes anorexiques contemporaines, les saintes anorexiques cherchent à obtenir un contrôle complet sur leur corps, à attirer l'attention sur elles-mêmes. Elles manipulent leur entourage avec leur refus de s'alimenter, en pratiquant le jeûne, une pratique religieuse reconnue et valorisée par la société comme instrument de pénitence et moyen de purification du corps, au-delà des normes sociales et religieuses qui le régulent, en le poussant à l'extrême jusqu'à l'autodestruction. Leur démarche est qualifiée d'anorexie sainte car elles cherchent aussi à manipuler Dieu lui-même et à obtenir des faveurs divines en échange de leur ascèse. S'il y a des points communs entre les anorexiques contemporaines et les ascètes ou les mystiques du Moyen Âge qui pratiquaient un jeûne extrême, il y aussi des différences. Contrairement aux anorexiques adolescentes de l'époque contemporaine, leur poids et la forme de leur corps n'est pas leur souci principal. Elles ne souffrent pas du phénomène du miroir brisé qui leur fait percevoir leur corps comme trop gros quand il est en fait très maigre 2. Les saintes anorexiques n'ont pas nécessairement une mauvaise image de leur corps. Elles cherchent à obtenir un contrôle sur elles-mêmes qui leur est refusé à bien des égards dans la société dans laquelle elles vivent. Le fait d'être libérées du besoin de se nourrir et cependant d'avoir beaucoup d'énergie est perçu comme positif par ces femmes qui s'imaginent que dans l'au-delà, 1. Grimm 1996. 2. Senninger 2004. tel est précisément le sort des anges et des saints. De plus, leur refus de s'alimenter est intégré dans une démarche pénitentielle, et ascétique qui est valorisée dans le christianisme médiéval. Seule sa forme extrême, mettant en danger la vie de la personne, est considérée comme inspirée par le diable plutôt que par Dieu 3. Elles ne sont donc considérées comme saintes que lorsque des miracles sont attribués à leur prière, ou lorsque les faveurs divines apparaissent liées à leur ascèse extrême. Si la recherche d'un corps idéal n'est pas vraiment au centre de leurs préoccupations, la recherche d'une forme de pouvoir est un but évident. Gagner le contrôle d'ellesmêmes, et à travers ce contrôle, gagner une forme de pouvoir sur leur entourage et au-delà sur Dieu, est ce qui les motive. Parce que la relation avec Dieu occup...