La littérature sociologique et militante portant sur l'histoire des luttes de l'immigration accorde fréquemment à la « grève des loyers » une place singulière. Cette « grève », qui a mobilisé les résidants des foyers de travailleurs migrants (FTM) au cours de la décennie 1970, est en effet le plus souvent érigée en « lutte exemplaire » (Plein droit, 2002, p. 48) voire en moment fondateur de mouvements « autonomes » ultérieurs (Galissot, 1994 ; Abdallah, 2000). Tant sa longévité (de 1973 à 1981), son ampleur (jusqu'à 30 000 grévistes dans 130 foyers au plus fort de la lutte), que son « autonomie », symbolisée par le caractère vindicatif et médiatisé du « Comité de coordination », justifieraient ce diagnostic. Nonobstant l'hétérogénéité des postures épistémologiques ou idéologiques qui sous-tendent ces analyses, deux caractéristiques majeures paraissent se dégager : d'une part, la « grève des loyers » serait l'exemple typique d'une mobilisation d'immigrés-le terme étant le plus souvent entendu au sens culturaliste. Ce caractère sur-déterminerait l'objet en en faisant une catégorie particulière de l'action collective : dans ce schéma, les immigrés auraient des formes spécifiques de lutte, distinctes et déconnectées de celles adoptées par d'autres agents occupant la même position dans l'espace social. D'autre part, ces études font porter exclusivement le regard-reprenant là un biais fréquent de la sociologie de l'action collective-sur l'organisation de mouvement social, en mettant en avant son « autonomie ». Le plus souvent, nous dit-on, les immigrés se seraient donné leurs propres organisations, en dehors de toute « influence » et à l'exclusion de tout « soutien » d'autres acteurs politiques. À notre sens, ces biais ont pour effet d'occulter deux questions sociologiques importantes que pose l'analyse de ce mouvement : premièrement, comment comprendre qu'un groupe apparemment aussi démuni et au statut aussi précaire que celui des résidants en FTM 2 1 Cet article a bénéficié des remarques stimulantes des participants au séminaire « Immigrés en lutte » organisé par S. Béroud, B. Gobille et C. Hamidi à l'ENS de Lyon en décembre 2005 et au colloque « Précaires en mouvements » à l'IEP de Strasbourg en janvier 2006. Je remercie également M. Aït-Aoudia et L. Jeanpierre pour leurs commentaires exigeants à propos d'une première version de ce texte. 2 Les occupants des FTM sont des « résidants » qui ne jouissent pas du statut de locataire. En outre, ils sont en majorité de nationalité étrangère et exercent le métier d'ouvrier spécialisé (Butaud, 1971).
Résumé En quoi consiste aujourd’hui la pratique du chercheur étudiant les mouvements sociaux ? Comment stimuler l’imagination sociologique au moment où se manifeste une triple routinisation des objets, des schèmes d’interprétation et des arts de faire méthodologiques dans ce domaine des sciences sociales ? Il ne s’agit pas ici de céder à certaines formes de « méthodologisme » en proposant une méthode, ni a fortiori « la bonne méthode » d’étude des mobilisations, détachée des enjeux de connaissance propres à chaque recherche spécifique. Plutôt qu’un durcissement méthodologique ou la promotion d’un modèle standardisé d’approche empirique des mobilisations, l’article et le dossier appellent à un retour au principe d’unité des sciences sociales, seul moyen de ne pas se couper de pans entiers de la recherche en train de se faire et d’avoir quelque chance d’ouvrir de nouvelles questions. Penser et regarder autrement les mobilisations, c’est ce à quoi invitent donc les chercheurs réunis dans ce numéro, en suggérant en particulier de mieux prendre en compte l’inscription des mobilisations dans le temps, l’espace et l’ordre social.
Résumé Une enquête ethnographique dans la région de Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne de 2010-2011, permet de montrer que, contrairement à la plupart des analyses sur la question, on ne peut ni parler de « spontanéité » du mouvement révolutionnaire, ni, à l’inverse, rabattre ce dernier sur des « causes » structurelles et exogènes. Les entretiens menés auprès des protagonistes soulignent plutôt la présence de réseaux dormants formés par des militants politiques et syndicalistes, finement articulés à des mobilisations localisées de groupes plus faiblement politisés, et mobilisés à la faveur de facteurs en partie contingents. On montre ainsi les ressorts pratiques de la politisation et de la désectorisation permettant tout à la fois le passage au politique de groupes hétérogènes et la remise en cause du régime.
La sociologie des mouvements sociaux a longtemps privilégié l’historicisation des processus contestataires à l’analyse de leur dimension spatiale et localisée. À travers l’exemple de la « grève des loyers » dans les foyers Sonacotra dans les années 1970, l’article montre tout l’intérêt qu’il y a à prendre au sérieux l’inscription de l’action collective dans son environnement physique. Mais s’il est nécessaire de réintroduire l’espace comme dimension centrale de l’action collective, cette réintroduction ne peut se faire qu’en interrogeant les mécanismes par lesquels les individus et les groupes entrent en interaction avec l’espace et les lieux qu’ils conçoivent, gèrent ou investissent. Seule l’analyse localisée des stratégies sociales de construction, d’appropriation et de réappropriation de l’espace permet en somme de comprendre ce que ce jeu particulier fait à l’action collective 1 .
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