To cite this version:Emmanuel Pannier, Gwenn Pulliat. Echanges, dons et dettes. Réseaux sociaux et résilience dans le Vietnam d'aujourd'hui. Revue Tiers Monde, Armand Colin, 2016, 226, pp.95-121. 10.3917/rtm.226.0095. hal-01453480v2 Échanges, dons et dettes.
Réseaux sociaux et résilience dans le Vietnam d'aujourd'hui
Emmanuel Pannier Gwenn Pulliat
MOTS-CLÉSVietnam, circulation non marchande, don, résilience, assurance sociale.
RÉSUMÉL'article analyse un pan essentiel de la vie quotidienne des Vietnamiens, pourtant peu étudié : la circulation non marchande. Celle-ci désigne les transactions intervenant hors du marché et dont le déroulement repose sur des relations interpersonnelles. Très intense au Vietnam, elle prend différentes formes : don, prêts avec ou sans intérêt, crédit rotatif, etc. On montre ici que cette circulation structure un réseau d'entraide auquel chacun peut recourir dans les périodes de difficulté, devenant un élément fondamental de la résilience des foyers ; si bien qu'à certains égards, il s'apparente à un dispositif d'assurance sociale. Dans un contexte où ni le marché, ni l'État, ni la parenté, ni le religieux ne suffisent à maintenir le lien social, la circulation non marchande -avec ses fonctions utilitaires et sociales -s'affirme comme un élément central de la socialité vietnamienne d'aujourd'hui.1 L'obtention d'un service ou d'une faveur auprès de l'administration (formalité administrative, rendez-vous à l'hôpital, soins associés, suivi d'un enfant par son instituteur, contournement d'une règle, etc.) passe souvent par le transfert d'une somme d'argent. Celle-ci est généralement disposée dans une enveloppe, si bien que les enveloppes sont devenues un symbole de la corruption. Il est intéressant de noter que, de plus en plus souvent, les dons monétaires rituels sont également présentés dans des enveloppes, ce qui souligne une certaine porosité de la frontière entre ce qui est de l'ordre du cadeau et ce qui est de l'ordre de la corruption. N° 226-227 avril-septembre 2016 -Revue Tiers Monde 98 du quartier auquel il a eu recours, etc. C'est sur une base quotidienne et selon des modalités très variées que les biens et l'argent circulent en dehors des institutions marchandes et étatiques.Hypothèses L'intensité de la circulation non marchande, la part des revenus qui lui est consacrée, le recours préférentiel au réseau plutôt qu'au marché en matière d'endettement placent ces transferts au coeur de la vie quotidienne au Vietnam. Ce système existe au moins depuis l'époque impériale (Phan, 1915 ;Nguyen, 1980) et, pour les raisons exposées dans ce texte, il se maintient dans le contexte actuel. Loin d'être un reliquat de formes d'échanges préexistantes à l'économie de marché, la circulation interpersonnelle continue de jouer un rôle central dans l'économie et la société, tant à la campagne qu'en milieu urbain. C'est l'hypothèse que nous discutons dans cet article. La circulation non marchande désigne l'ensemble des prestations et des transactions dont la réalisation est subordonnée à l'existence...