Cet article propose de caractériser une certaine narration de la laïcité au Québec, d’analyser son contexte d’émergence et de déploiement durant la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles et le débat sur le projet de loi 60 (projet de Charte des « valeurs ») à partir de la race / racisation, le genre et la sexualité. Deux discours caractérisent cette narration et participent à reconfigurer les frontières nationales : l’homonationalisme et le fémonationalisme. Cette narration alimente des oppositions entre une conception d’un « Nous » québécois laïque, féministe et pro-LGBTQI à l’opposé d’un « Eux » musulman homophobe et sexiste. Finalement, je propose de penser cette reconfiguration des frontières par le terme « sécularonationalisme », c’est-à-dire qu’elle est une narration normative sur le processus de sécularisation perçue comme à l’origine de l’égalité de genre et de sexualités, et qui opère à une dichotomisation entre « bonne » et « mauvaise » sécularisations.
Cet article fait suite à une recherche menée à Montréal entre 2011 et 2015 avec des femmes et des féministes musulmanes de différents profils sociologiques. Dans un contexte où l’on parle beaucoup d’elles, mais rarement avec elles, je me suis intéressée à comprendre et à situer les mobilisations militantes des femmes et féministes musulmanes à partir de leur propre point de vue. En m’inscrivant dans une démarche féministe postcoloniale et en adoptant la perspective des chercheurs de l’entre-deux qui écrivent « contre la culture » (Abu-Lughod 1991), je propose de rendre compte des praxis qui constituent la subjectivation féministe musulmane dans le contexte québécois. Cette subjectivation se révèle par des discours complexes où il n’est pas question de choisir ni entre islam et féminisme, ni entre « Orient » et « Occident ». L’islam est vécu comme un ensemble de techniques de soi qui structure la conscience féministe musulmane et qui se traduit à travers des praxis islamiques et antiracistes. Si la plupart des répondantes s’entendent pour penser le féminisme comme une lutte pour la justice sociale, leurs orientations politiques sont plurielles et non homogènes. Cela dit, face à l’objectivation et à l’islamophobie genrée, il s’agit de voir que la subjectivation féministe musulmane articule des résistances où l’islam est vécu comme une source de soi émancipatrice.
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