Cet article se propose de montrer comment un crime de masse tel que le génocide entraîne des répercussions psychiques sur plusieurs générations, ce que l’on peut considérer comme une catastrophe de la filiation. Comment s’inscrire dans un lien de filiation pour écrire son propre roman des origines lorsque l’horreur vécue musèle à jamais la vie de la mémoire, de la parole et de la transmission ? C’est à travers la médiation projective de la libre réalisation de l’arbre généalogique que l’article tentera d’explorer ces questions par une étude de cas. Dans l’espace intermédiaire de la rencontre, tout en respectant les aménagements défensifs du sujet, le travail de perlaboration se rend possible. L’article montre comment la dimension médiatrice et projective du dispositif se met au service du travail d’historicisation et de remémoration de l’histoire familiale et collective chez un descendant d’un survivant de la Shoah.
Depuis les années soixante-dix, la transmission psychique constitue un champ à part entière en psychanalyse. De nouvelles notions sont apparues à la suite des travaux de Freud pour saisir les objets et processus de la transmission : crypte, et fantôme (Abraham & Torok, 1978), visiteurs du moi (de Mijolla, 1981), objets transgénérationnels (Eiguer, 1983, 1987), télescopages des générations (Faimberg, 1987). On peut également nommer les différents types de filiation soulignés par Guyotat (1980, 1991). Parmi ces auteurs, Kaës (1993, 2009) s'est distingué par ses travaux sur les alliances psychiques, qu'il situe au coeur des dynamiques de la transmission. Face aux importants bouleversements sociaux qui affectent la société contemporaine (Kaës, 2012), face à l'individualisme grandissant et davantage encore, suite aux violences collectives qui ont ravagé l'existence de millions de personnes au siècle passé, la question de la transmission psychique interroge de plus en plus. D'autres travaux se sont d'ailleurs centrés sur la particularité de la transmission du traumatisme associée aux Manon Bourguignon, assistante-doctorante au sein du Laboratoire de recherche en psychologie des dynamiques intra-et inter-subjectives-laRPSydiS,
La déshumanisation à l’œuvre dans le projet génocidaire et l’héritage d’un tel événement traumatique entraîne une catastrophe de la transmission et de la filiation. S’ensuit une impasse des processus d’identification et de différenciation sur plusieurs générations. Dans cette contribution, on interroge la nature des obstacles entravant le processus de deuil, de séparation et l’investissement de la vie après une catastrophe sociale. Il s’agit pour cela de rendre compte du travail de subjectivation nécessaire à l’appropriation de sa propre histoire et de celle de sa propre famille de manière à pouvoir engager un processus de séparation/différenciation. À travers une étude de cas, l’article montre la pertinence d’une rencontre clinique « médiatisée » pour la compréhension et la perlaboration du vécu traumatique d’une famille survivante qui vit entre-soi. Nous discuterons, en particulier, l’apport de la photographie comme une première tentative de figuration des affects et de mise au travail des processus intermédiaires garants de leur symbolisation.
En tant que crime généalogique (Legendre, 1990. 1999), le génocide constitue un événement symbolicide majeur (Guyotat, 1985, 1995, 2005a). C’est en ce qu’il vise à éradiquer l’altérité-même des victimes qu’il peut être considéré comme étant de nature fanatique (Chouvier, 2017). L’extermination consiste par ailleurs en une profonde mise à mal du contrat narcissique primaire, secondaire et originaire (Aulagnier, 1975 ; Kaës, 2009) ce qui entraîne une catastrophe de la filiation (Waintrater, 2002) mais peut-être aussi de l’affiliation au groupe et d’identification à l’espèce humaine. Comment les victimes du crime généalogique auquel auront conduit les constructions idéologiques radicales prônées par les Nazis s’inscrivent-ils fantasmatiquement – ou non – dans leur lignée généalogique ? Nous formulons l’hypothèse que chez les survivants d’un tel crime de masse, la représentation fantasmatique de la généalogie présente des traces traumatiques relatives à la représentation de la capacité d’engendrer. L’originalité de nos travaux consiste à explorer cette hypothèse grâce à une médiation projective : la libre réalisation de l’arbre généalogique (Veuillet, 2003). Une étude de cas permet d’illustrer que les traces traumatiques concernent la fantasmatique originaire du sujet et qu’elles révèlent inconsciemment de certaines impasses identificatoires en lien avec les processus de subjectivation en jeu dans le triple contrat narcissique en question.
La libre réalisation de l’arbre généalogique constitue une médiation projective utile dans le champ de la transmission psychique. Différente du génogramme, elle permet au chercheur clinicien d’explorer la représentation subjective des liens familiaux. Après une brève revue des grilles d’analyse disponibles, nous présentons une grille d’analyse qualitative détaillée, élaborée à partir de données issues d’un corpus de recherche au sujet de la violence de masse. Une illustration clinique relative à un homme âgé de 90 ans, déporté en raison de sa judéité alors qu’il était adolescent, permet de montrer l’intérêt d’une telle démarche, qui est arrimée aux grands opérateurs de la vie psychique.
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