Ce que mangent (ou ne mangent pas) les chrétiens. La communauté chrétienne d’Éthiopie face aux interdits alimentaires
Peu de sources permettent d’aborder frontalement la question des relations entre le christianisme éthiopien et les interdits alimentaires. Cet article propose une relecture de cet étroit corpus, et met en relief les différents moments d’une histoire où s’imbriquent pratiques alimentaires et identité religieuse. Le respect des interdits alimentaires bibliques est aujourd’hui considéré comme un marqueur identitaire pour les chrétiens d’Éthiopie. Les chrétiens d’Éthiopie ont derrière eux une longue histoire d’identi -fication au peuple élu, mais les interdits alimentaires du Pentateuque ne semblent pas, jus -qu’à une période récente, avoir eu une quelconque résonnance pratique. Jusqu’au XVI e siècle, les textes mettent à jour des pratiques de non-consommation alimentaires portant sur des chairs animales, communes à la majorité des populations de la région, chrétiennes ou non. Au XV e siècle, le roi Zar’a Yā‘ eqob condamne la non-consommation du poisson en s’appuyant sur les écrits apostoliques. L’altérité alimentaire entre communautés religieuses – chrétiens, musulmans, «païens » – se fonde alors sur des aliments qui symbolisent l’altérité des modes de vie. Lorsqu’ils se confrontent, au XVI e siècle, au regard des catholiques européens, les chrétiens d’Éthiopie élaborent un discours de justification de la non-consommation de certaines chairs animales, pratique dont le caractère rituel est alors nié. Ce n’est qu’une fois les missionnaires catholiques expulsés, au XVII e siècle, que le respect des interdits alimentaires bibliques semble être intégré à l’identité chrétienne éthiopienne, et supplante définitivement les pratiques de non-consommation pan-éthiopiennes.
De par la grande diversité de ses milieux naturels mais aussi de par leur évolution au cours des dix derniers millénaires, la Corne de l’Afrique a permis le développement d’un grand nombre de sociétés humaines. Celles-ci ont exploité de riches ressources en optimisant le particularisme lié à chaque milieu et à ses variations. L’adoption et le développement de l’agriculture et de l’élevage au cours des cinq derniers millénaires ont bouleversé le rapport de l’homme à son environnement en réduisant notamment la part du sauvage dans l’alimentation. Grâce au développement des fouilles archéologiques et des recherches historiques depuis une quinzaine d’années, les données se multiplient sur ces questions. Notre contribution, réunissant les résultats d’une enquête archéozoologique sur le temps long et d’une enquête historique sur la place du gibier et du poisson en Éthiopie depuis le Moyen Âge, vise à construire un récit à deux voix de ce basculement économique et culturel remarquable. Ce dialogue interdisciplinaire permet la mise en lumière des tendances régionales en ce qui concerne les rapports au monde sauvage et leur évolution au cours du temps.
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