Le religieux et le développement : négociations politiques des convictions moralespar Lucas Faure, Dilek Yankaya, Nathalie Ferrière et Camille Noûs Bénéficiaires d'un statut consultatif auprès de l'Organisation des Nations unies, les organisations non gouvernementales (ONG) font partie de ceux que l'on appelle les faiseurs de la mondialisation en tant que courtiers 1 de l'aide au développement. En 2020, 11 % au moins des projets d'aide au développement et 20 % des projets d'aide humanitaire étaient mis en oeuvre par une ONG contre respectivement 6 % et 26 % en 2005 2 . Leur forte implication dans les actions de solidarité de proximité 3 fait également de ces organisations des vecteurs de la circulation de normes et de pratiques d'assistance humanitaire et de plaidoyer (advocacy).Or, parmi ces ONG, nombreuses sont celles qui affichent un attachement confessionnel, le plus souvent chrétien ou islamique, quelquefois juif ; un tiers environ se déclarant soit explicitement « religieuses », soit « avec des racines religieuses », soit « spirituelles », soit « basées sur la foi » 4 . La littérature en sciences sociales accorde une attention variable à ces différentes structures, et ce malgré leur dynamisme indéniable. De fait, le religieux est longtemps resté un « facteur oublié » 5 dans les politiques de développement et l'action humanitaire, oubli qui illustrait la prééminence d'une sécularisation inéluctable dans les configurations contemporaines des univers de l'aide au développement 6 . Pourtant, après avoir 1 Yves Dezalay, « Les courtiers de l'international. Héritiers cosmopolites, mercenaires de l'impérialisme et missionnaires de l'universel », Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152 (1-2), 2004, p. 4-35. 2 D'après les données du Creditor Reporting System (CRS) de l'Organisation de coopération et de développement économique (https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=crs1) et celles du Financial Tracking System fournies par le Bureau de coordination des affaires humanitaires (https://fts.unocha.org/data-search/results/incoming?usageYears=2005) (consultées le 1 er juin 2022). Ces données ne renseignent que le premier partenaire choisi par le donneur pour mettre en oeuvre le projet et ne permettent pas d'en identifier les autres parties prenantes. Par exemple, l'UNICEF peut mettre en place un partenariat avec une ONG pour un projet d'aide financé par la France. Celui-ci sera alors comptabilisé comme ne faisant pas intervenir d'ONG.